Au Sénégal, encore une rentrée ratée pour les écoles Yavuz Selim

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L’Afrique fait sa rentrée (2). Le réseau d’éducation, privé d’autorisation d’enseigner depuis 2017 sur demande de l’Etat turc, ambitionne de rouvrir ses établissements d’excellence sur le modèle français.
Les grilles des huit écoles Yavuz Selim au Sénégal restent encore closes en cette rentrée 2019. Trois ans déjà que l’Etat sénégalais a retiré l’autorisation d’enseigner à ce groupe scolaire formant les élites de la nation.
Malgré la fermeture de ses écoles, Madiambal Diagne, le président du conseil d’administration de Yavuz Selim ne désarme pas et envisage même un nouveau projet éducatif qu’il nomme Concorde. Des écoles, de la maternelle au bac, qui suivraient le cursus français. Il y a “une forte demande de l’intelligentsia sénégalaise, dit-il, et les écoles françaises sont toutes complètes”. Le projet sera financé sur ses deniers personnels, sans investisseurs étrangers. “Pas question d’être encore victimes de tractations diplomatiques ou de guerres internes à d’autres pays”, tempête-t-il, se remémorant l’aventure de ses écoles turques, les précédentes.
En octobre 2017, le ministère de l’intérieur sénégalais avait déployé un cordon de policiers empêchant les élèves d’accéder à leur classe. Le geste avait suscité une grande indignation, puis été suivi d’explications confuses, qui se sont éclaircies lorsque le gouvernement a demandé que les écoles Yavuz Selim soient transférées sous l’administration de la fondation Maarif, propriété de l’Etat turc.
“Chasser les terroristes”Fondé en 1997, le groupe scolaire Yavuz Selim fait partie de l’Hizmet, le vaste réseau éducatif et humanitaire du prédicateur turc Fethullah Gülen. Cet ancien allié, devenu ennemi juré, du président Recep Tayyip Erdogan est accusé par ce dernier d’avoir fomenté la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 en Turquie. En représailles, le président turc a lancé une entreprise mondiale de démantèlement des réseaux de la confrérie Gülen, et c’est en Afrique que cette traque est la plus intense.
Alors, depuis trois ans, le président Erdogan multiplie les visites diplomatiques et les tractations commerciales durant lesquelles il exige des gouvernements africains de l’aider à “chasser les terroristes gülénistes” en fermant les écoles et les ONG affiliées à l’Hizmet, puis en les rouvrant sous l’égide de la fondation gouvernementale Maarif. Une stratégie payante dans la plupart des pays du continent, où les investissements turcs sont un appui précieux au développement. Ainsi, l’Etat turc a réussi à récupérer des écoles “gülénistes” au Cameroun, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Maroc, en Guinée, au Soudan du Sud, en Somalie, au Tchad et en Guinée équatoriale.
Au Sénégal, si Ankara a obtenu la fermeture des écoles, elle n’a pas pu en récupérer les locaux pour y installer ses professeurs. En 2018, Yavuz Selim a gagné son procès contre l’Etat et “pu empêcher que les écoles soit mises sous l’administration provisoire sénégalaise, contrairement au Mali ou à la Guinée”, explique Me Moussa Sarr, son avocat. Si les bâtiments ont été préservés, le groupe scolaire n’a pas récupéré son autorisation d’exercer. Les classes sont vides et risquent de le rester encore longtemps. “Nous avons gagné cette bataille judiciaire, mais les élèves ont dû s’inscrire ailleurs”. A regret.
Échanges économiques au beau fixeL’élite sénégalaise était très attachée à ces écoles d’excellence qui affichaient régulièrement les meilleurs taux de réussite au brevet et au bac. La fondation Maarif a bien ouvert des établissements à Dakar, Thiès et Saint-Louis, mais “leurs classes sont vides, car les parents ne croient pas en leur projet éducatif, alors que notre école était considérée comme la meilleure de la place”, affirme Madiambal Diagne.
Le discours rôdé du président Erdogan accusant les professeurs des écoles du réseau Hizmet de propager une idéologie islamiste dangereuse, prosélyte, et de former les têtes pensantes d’un gouvernement de l’ombre, n’a pas pris au Sénégal. Parmi les 3 600 élèves des écoles Yavuz Selim, nombreux étaient les enfants de membres du gouvernement. Ceux d’Abdou Mbow, vice-président de l’Assemblée nationale par exemple ou, plus étonnant, la fille de Serigne Mbaye Thiam, alors ministre de l’éducation nationale.
“Nos enfants n’ont jamais été radicalisés, contrairement à ce que le gouvernement turc dit, il n’y avait pas de manipulation idéologique, assure Bassirou Kébé, président de l’Association des parents d’élèves de Yavuz Selim. Les professeurs et le cadre d’enseignement étaient excellents, les classes ne dépassaient pas vingt-quatre élèves. A part l’apprentissage du turc, qui n’était pas obligatoire, les cours suivaient le curriculum sénégalais.” A l’annonce de la fermeture de l’école, Bassirou Kébé et les autres parents ont dû se démener pour trouver aux milliers d’élèves des places vacantes dans des classes, alors que la rentrée venait de démarrer.
Pour l’Etat sénégalais, le pari s’est avéré gagnant. Après avoir fermé les écoles Yavuz Selim, Macky Sall a inauguré en décembre 2017 le nouvel aéroport international Blaise-Diagne dont les travaux ont été achevés par les sociétés turques Summa et Limak. Puis, en janvier 2019, un mois avant sa réélection, il a coupé les rubans du marché international et de la gare des gros-porteurs de Diamniadio construits par la société stambouliote DM. Entre la Turquie et le Sénégal, les échanges économiques sont au beau fixe. De 2004 à 2014, leur volume a été multiplié par dix, atteignant 144 millions d’euros et devrait atteindre 1,8 milliard d’euros d’ici à 2023.

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