Bass Diakhaté, une trajectoire atypique, résumée par la scène

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De soldat à comédien en passant par la case “daara” (école coranique), le parcours de Bass Diakhaté, dont les 40 ans de présence sur la scène artistique sénégalaise ont été fêtés le 4 mai dernier, reste marqué par les turbulences d’une quête de soi pleine d’enseignements sur la vie et les vicissitudes du destin.


À 66 ans, Bassirou Diakhaté – son nom à l’état civil – est passé des rigueurs d’une vie militaire qui semblait peu adaptée dans son cas pour se forger un destin de comédien par le théâtre populaire. Un parcours atypique qui l’a rendu humble et réaliste sur ce qu’il faut attendre de son métier et de sa vie.


Il a pour ce faire pu profiter du bouillonnement culturel de la Médina dans les années 1980, un quartier populaire situé non loin du centre-ville de Dakar qui compte par exemple la star sénégalaise Youssou Ndour parmi ses fils les plus célèbres.


Parcours atypique que celui de ce comédien passé notamment par l’école coranique, une quête de spiritualité s’étant un moment imposée à lui, avant de trouver définitivement sa voie par le théâtre populaire cinq ans plus tard.


“J’étais très turbulent”Soldat “turbulent”, il faisait partie du contingent 72-2 du centre d’instruction militaire Dakar-Bango de Saint-Louis (nord) en 1972 avant de compléter sa formation de base à l’Ecole nationale des sous-officiers d’active (ENSOA) de Kaolack (centre).
“On m’a ensuite affecté au neuvième CFB à Tambacounda (est) parce que j’étais très turbulent. Et là-bas, j’ai fait toutes les bêtises imaginables. Un jour, en plein rassemblement, je suis sorti nu, on m’a collé une punition”, rappelle-t-il avec humour, plus de 50 ans après cet épisode de la vie.


Une punition qu’il considère après coup comme “une chance”, Bass Diakhaté ayant été emmené à côtoyer à la prison de Kédougou (sud-est) le défunt président du Conseil du gouvernement sénégalais, Mamadou Dia (1910-2009).


“Mamadou Dia, je le voyais faire des va-et-vient dans sa cellule. Il y avait tout près un citronnier qu’il cueillait par moments. Je ne savais rien de l’actualité politique de cette époque. C’est à ma libération en fin 1973 que j’ai su que j’étais tout près des évènements politiques de 1962”, raconte le comédien.


Bass Diakhaté n’a pas pu intégrer le corps des blindés comme il l’espérait – son nom a été rayé de la liste, dit-il -, un échec qu’il impute au système du “bras long”, consistant à pistonner des proches dans l’administration et les structures publiques.


“Je me suis dit que mon armée est finie, je m’en fous. Je voulais vraiment être militaire et avoir des grades. Mes parents m’ont demandé de me présenter au concours de la police, mais j’étais attiré par l’effervescence artistique de la Médina”, explique-t-il.
Depuis 1979, ce natif de Bambilor, dans le département de Rufisque (ouest), à 27 kilomètres de Dakar, tient ainsi en haleine son public et rayonne à l’écran, happé qu’il est par le théâtre populaire dans lequel il a fait ses premières armes à la Médina.


“La Médina était un nid d’artistes à cette époque-là. Si on n’était pas dans le football ou le basketball, on était dans l’art ou les chants khadre qui étaient en vogue. Il y avait des +dahira+ (associations de fidèles) célèbres, +Les bonnets rouges+ par exemple. Youssou N’Dour et son oncle Doudou Sow, le père de Thione Seck, parmi d’autres. On y rencontrait beaucoup de monde”, se souvient-il.


Bass Diakhaté intègre de cette manière la troupe “Sine dramatique” regroupant des natifs de la région du même nom, correspondant actuellement à Fatick (centre).


“J’avais besoin d’avoir des repères”À cette époque, rappelle-t-il, “Sine dramatique” assurait, avec “Les Canadiens”, l’animation culturelle à la Médina, dans les années 1970-1980.


Malgré le succès, il décide de quitter la troupe artistique pour l’école coranique de Soum Nane, un village situé à sept kilomètres de Diakhao, dans la région de Fatick.


“Le théâtre, c’était nous, le milieu théâtral et la population. Alors que le +daara+, c’était moi, ma personne. J’avais besoin d’avoir des repères, de m’éduquer. Cela me sert jusqu’à présent, car dans le théâtre il faut de l’endurance”, explique-t-il.


Bass Diakhaté devient même “Baye Fall” et adopte la philosophie du mouridisme. “Si je vous montre mes photos de souvenirs, vous n’allez pas me reconnaître”, dit-il, faisant allusion notamment à ses dreadlocks de l’époque.


Mais l’appel de la scène est définitivement plus fort que tout chez lui. Il revient donc à l’art en 1994 en intégrant la troupe théâtrale “Daaray Kocc”, où il a été introduit par son ami Djibril Samb et le comédien Baye Ely.
Il valse alors entre le théâtre et le cinéma, au rythme de ses apparitions dans des productions destinées à la scène ou à la télévision.


Il joue comme figurant s’il ne joue pas simplement le rôle principal de plusieurs sketches dont “Diangue yi tass na” – sa première production avec la troupe “Daaray Kocc”, “Les quatre vieillards dans le vent”, “Rée ba tass”, “Bicho Ballo” (pièce tournée avec “Sine Dramatique”).
Cette dernière production a été tournée dans les studios de l’ancien siège de la Radiodiffusion-télévision sénégalaise (RTS), sur l’avenue de la République, avec un décor emprunté au Théâtre national Daniel-Sorano.


“Il y a des scènes extérieures qui ont été jouées à Mermoz (un quartier dakarois). On a filmé à l’époque avec deux caméras manuelles”, se souvient Bass Diakhaté qui prend ainsi son envol avec cette pièce.
“Bicho Ballo”, l’une de ces productions en question, parlait de la vie quotidienne au Sénégal, car pour l’artiste comédien, “le théâtre est la vie de tous les jours”.


“L’artiste ne donne pas de solution, il met le doigt sur la plaie, le problème. Il ne doit pas y avoir de sujets tabous au théâtre, tout ce qu’on dit ou fait existe dans cette société. Cela ne se passe pas toujours ailleurs comme le prétendent certains”, explique-t-il.
Il passe cinq ans à “Daaray Kocc” avant de s’engager dans une carrière solo, se produisant à la demande. “Un artiste a besoin de liberté”, s’explique Bass Diakhaté.


“Je ne jubile jamais après un succès”Ses rôles au grand écran sont de référence. Il a ainsi joué dans “Atlantique” (2019) de Mati Diop, “La Pirogue” (2012) de Moussa Touré, “Madame Brouette” (2002) de Moussa Sène Absa, “Faat Kiné” (2000) d’Ousmane Sembène et “Almodou” (2002) du réalisateur Amadou Thior.


Dans ce film, il incarne le personnage de Serigne Banee, le marabout qui vit de la mendicité de ses petits disciples. Un film à succès qui dénonce l’exploitation des enfants +talibés+ (enfants-mendiants). Mais pour Bass Diakhaté, le succès d’un film ne doit pas être attribué au travail de l’acteur, mais au scénariste plutôt.


“Je ne jubile jamais après un succès, car c’est la pensée d’un autre. Un scénario ne se lit pas, il se comprend. Il faut que les artistes prennent le temps de comprendre les scénarios”, dit celui qui reconnaît avoir beaucoup appris auprès des réalisateurs et metteurs en scène côtoyés.
Il cite “Almodou” d’Amadou Thior parmi les films qui l’ont rendu le plus heureux, Sidy Niang l’ayant le plus marqué comme binôme.


“Avec Sidy Niang, confie-t-il, on a fait notre enfance ensemble. On est entré au théâtre ensemble, le duo qui m’a le plus plu est celui avec Sidy Niang parce qu’on a partagé beaucoup de choses”.


Le comédien conseille aux jeunes artistes d’étudier le métier de comédien, même en comptant avec leur passion car, dit-il, “pour avoir une bonne assise dans ce métier, il faut se former”.


En revanche, Bass Diakhaté s’élève contre l’assertion selon laquelle “l’art ne nourrit pas son homme”. Il est peut-être difficile de devenir “un millionnaire (avec ce métier), mais si tu fais correctement ton travail, tu peux en vivre”, argue-t-il.


“Je rends grâce à Dieu, je me suis marié et j’entretiens ma famille avec le théâtre. Mes enfants sont à l’université, et le dernier au lycée. D’autres sont footballeurs”, dit-il.


Des “rapports pas catholiques”La célébration de ses 40 ans de carrière n’est pas non plus pour lui une fin en soi, tant et si bien qu'”il n’y a point de retraite chez l’artiste”, affirme le comédien.


“Il y a des rôles de vieux dans les films comme au théâtre. Si un réalisateur a besoin d’un vieux de 70 ans, comment ferait-il ?” s’interroge-t-il, ajoutant : “On est là jusqu’à la mort.”


Parlant de ce qu’il déplore dans son métier, il a évoqué “les rapports pas catholiques” entre les professionnels du théâtre. “Certains mettent en avant des intérêts personnels. Mais grâce à Dieu, les choses changent avec la nouvelle génération et le métier est plus dynamique.”
Bass Diakhaté salue autant les changements survenus dans la gestion du Théâtre national Daniel-Sorano, une institution qui intègre désormais le théâtre dit populaire dans ses pièces.


“C’était ce cloisonnement entre théâtre professionnel et populaire qui a beaucoup retardé notre théâtre. C’est heureux aujourd’hui que l’on efface cette frontière”, se réjouit-il.


Cet amateur de football, membre du “12ème Gaïndé”, le club de supporteurs des Lions du Sénégal, table à terme sur une hausse des subventions accordées par le ministère de la Culture et de la Communication pour le rayonnement du théâtre.

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