Emmanuel Cohen, chercheur au CNRS : “Pourquoi les femmes sénégalaises veulent avoir une taille Coca-Cola… “

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Emmanuel Cohen, chercheur au CNRS : “Pourquoi les femmes sénégalaises veulent avoir une taille Coca-Cola… “
Le Sénégal, à l’instar des autres pays d’Afrique, vit un bouleversement profond de ses modes de vie. Certains facteurs favorisent la prise de poids (le surpoids et l’obésité) tandis que d’autres conduisent paradoxalement à une valorisation presque extrême de la taille fine (la minceur).  Dans son  livre “Des corps pour paraître : la corpulence et ses perceptions au Sénégal “,  Emmanuel Cohen tente d’apporter des éclaircissements sur le  processus qui a conduit un bon nombre de sénégalaises à abandonner l’engouement social pour l’embonpoint, au profit d’un culte de la minceur.

Dans un entretien accordé à Seneweb,  le chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France évoque les conclusions de cette enquête ethnographique sur les nouveaux canons esthétiques au Sénégal.

Pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser à cette thématique ?

Parce que c’est un phénomène qui a commencé en occident, il y a 150 ans. Le Sénégal est un pays  qui s’ouvre  au phénomène d’urbanisation rapide. Aujourd’hui, le corps doit être contrôlé par la diète alimentaire, l’activité physique, les soins et les cosmétiques, à la fois pour la dimension esthétique et le contrôle. On constate que le désir de contrôle morphologique est omniprésent dans les discours sanitaires comme dans la publicité. Et c’est ce phénomène-là associé à une culture moderne du corps qui fait que ces conceptions changent. En réalité, ces conceptions qui valorisent l’embonpoint sont surtout historiquement rurales et on les retrouve dans  les populations qui ont souffert relativement du manque et qui considèrent donc que l’abondance est une forme de beauté.

Comment s’est opéré ce changement de conception ?

Le Sénégal vit, de manière inédite aujourd’hui à son tour, un passage très rapide, je dirai beaucoup plus rapide qu’en Europe, vers l’urbanisation. Alors qu’en France et au Royaume-Uni, ce phénomène s’est fait en 150 ans, au Sénégal cela s’est fait sur 20-30 ans. Sur deux (02) générations on voit des jeunes qui vont  remettre en question le modèle des aînés et avoir des conceptions du corps plus exigeantes aussi, un peu plus narcissiques. Mais, qui en même temps protègent d’une valorisation de l’embonpoint qui peut être facteur de risque à l’obésité. Notamment en ville, on voit  chez les femmes d’âges mures qui  vivent par exemple à Pikine, à Thiaroye…qui ont une valorisation de l’embonpoint qui n’est pas forcément en phase avec un environnement de plus en plus urbain, édifié et qui expose à l’obésité.

Quelle est l’ampleur de cette mutation ?  

C’est un phénomène inédit au Sénégal. On assiste à une remise en question massive et générationnelle de la conception du corps et de la corpulence qui était vraiment ancienne dans un contexte rural que les  populations appellent  « Thiossane ». Cette valorisation de l’embonpoint était prégnante donc c’est assez impressionnant  de voir comment celle-ci est remise en question sur une ou deux générations.

Comment avez-vous réalisé ce travail en termes de logistique et d’échantillonnage ?

J’ai travaillé auprès de différents participants sur l’ensemble de Dakar et sa banlieue mais aussi à Kaolack, plus précisément dans les départements de Nioro et à Gandiaye.

On a fait une enquête par focus groupe, des interviews avec plusieurs personnes en même temps qui sont de la même classe d’âge généralement, de la même catégorie socioprofessionnelle pour éviter les problèmes de différences en termes de niveau d’éducation ou un niveau de socioéconomique trop fort et pour pas que quelqu’un prenne le pas sur la discussion par rapport à un autre. Aussi, on a séparé les sexes donc on avait des groupes de femmes et d’autres constitués d’hommes relativement homogènes sur le plan sociodémographique.

En tout, on a eu huit (08) groupes en zones urbaines et six (06) en zone rurale. En somme, on a travaillé avec une combinaison de 02 générations (18 et 22 ans et des personnes de plus de 70 ans). Donc une cinquantaine de personnes ont pris part à l’enquête.

Malgré tout, il y a des jeunes qui utilisent des sirops, des pommades etc.  pour prendre du poids et avoir quelques rondeurs. Comment analysez-vous ce phénomène ?

On se rend compte que les critères esthétiques sont ambivalents, c’est-à-dire que  chez les jeunes,   certaines  sont  restées sous l’influence des aînés et donc  valorisent un certain embonpoint. Certaines veulent avoir des formes, des rondeurs mais aux bon endroits, d’où la fameuse taille Coca Cola. Du coup, on n’est plus dans ce contexte de valorisation de corpulence globale qu’on retrouvait dans le Thiossane. Mais, cette fois la corpulence au bon endroit nécessite un travail important  sur le corps comme  le “Diaye Fondé” qui est un peu archaïque  et la taille coca cola qui est beaucoup plus tournée vers la modernité. Au Sénégal , les hommes s’intéressent plus à la taille fine, la taille moyenne avec des formes bien réparties plutôt que les gros gabarits « Drianké ».  C’est pourquoi les femmes sont plus favorables à la taille Coca Cola qu’à l’embonpoint.

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