Football : L’arbitrage vidéo, un si logique désastre !

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Il est étrange que l’autorisation d’une phase d’expérimentation de “l’arbitrage vidéo” par l’International Board de la FIFA, qui marque en réalité le coup d’envoi d’un processus qu’il sera à peu près impossible d’enrayer, ait si peu fait l’événement.

Une raison pour laquelle les “pro-vidéo”, très majoritaires, n’ont pas bruyamment célébré une telle victoire, après avoir si longtemps et si rageusement combattu pour l’obtenir, tient peut-être à la surprise d’obtenir un changement auquel ils ne croyaient pas vraiment. Au point qu’ils se rendraient compte, en même temps, qu’ils n’ont qu’une très vague idée de la façon de la mettre en œuvre, voire qu’ils appréhendent confusément la confrontation avec la réalité. C’est en fini de la pensée magique qui faisait de l’arbitrage vidéo une panacée injustement refusée : la voici à l’épreuve des faits. Mais ce n’est qu’une hypothèse. Ils sont plus probablement si convaincus des bienfaits de la méthode qu’ils attendent sereinement l’avènement ce qui était devenu une fatalité.

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UN CHANGEMENT FATAL

Il faut trois secondes d’indignation pour, à la vue du ralenti d’une erreur d’arbitrage flagrante devenir un fervent partisan de l’arbitrage vidéo. Il faut au moins quinze minutes pour seulement dresser la liste des graves problèmes qu’il pose. Il n’y a jamais eu de débat sur l’arbitrage vidéo : il a été tranché avant même qu’il ne commence ou que quiconque ait pensé sérieusement à l’intérêt de l’organiser. Les trois secondes d’indignation ont été servies des milliers de fois, les quinze minutes de réflexion n’ont jamais été accordées. Les argumentations critiques ont été systématiquement ignorées ou marginalisées, la solution a été présentée à la fois comme une évidence, une nécessité et une urgence indiscutables.

On refera l’exposé méthodique de ses impasses et de ses conséquences une autre fois. Inversons la question : plutôt que de nous demander “À quel football va conduire l’arbitrage vidéo ?”, demandons-nous “Quel football a conduit à l’arbitrage vidéo ?” Car si la mise en route de l’arbitrage assisté par l’image marque un point de basculement dans l’histoire de ce sport, ce basculement est entamé depuis longtemps (il est probablement plus pertinent de parler de point de non-retour).

On voit en effet assez facilement pourquoi l’arbitrage vidéo “s’est imposé”, c’est-à-dire ce qui l’a imposé : il ne résulte pas d’une réflexion approfondie sur l’arbitrage et sur le jeu, mais à la fois d’années de pression massive et univoque, et d’une logique inscrite dans l’évolution du football – bien que cette logique soit extérieure au jeu.

QUEL FOOTBALL A CONDUIT À L’ARBITRAGE VIDÉO ?

Un football dans lequel la démagogie et le procès permanent de l’arbitrage, fondés sur l’ignorance persistante des règles (leur lettre comme leur esprit), sont devenus un fonds de commerce permettant de s’épargner de parler du jeu et de le faire aimer.

Un football dans lequel le commentaire de ralentis, le réexamen maladif des décisions de l’arbitre, l’exploitation de dispositifs comme le révélateur de hors-jeu (dont la méthodologie est aussi fumeuse que son utilisation stupide) sont devenus des éléments majeurs de sa mise en scène.

Un football dans lequel on a validé la chimère techniciste selon laquelle les images livreraient toujours la vérité d’une action, ignorant que dans ce sport, l’arbitrage est pour une grande part une question d’interprétation.

Un football au tronçonnage duquel on a habitué les téléspectateurs avec des réalisations qui découpent les rencontres en une infinité de plans, de ralentis et d’éléments extérieurs au jeu, préparant un rapprochement avec les sports américains (proposant des séquences entrecoupées de pauses, et dont l’intérêt ne procède pas de la continuité du jeu).

Un football que les télévisions se sont appropriées en l’achetant très cher, imposant leur mise en scène, leur calendrier, leur omniprésence, appliquant sans attendre un arbitrage vidéo virtuel et donnant le sentiment que ce dernier serait applicable du jour au lendemain ; sans ignorer qu’il étendrait un peu plus l’emprise des diffuseurs.

Un football dans lequel les “enjeux économiques” ne supportent plus l’aléa sportif et encore moins l’aléa arbitral, et dans lequel chacun a été convaincu que les “injustices” dues à des décisions erronées étaient absolument intolérables… alors que cette logique économique a imposé un système totalement inégalitaire de concentration des ressources financières et sportives dans une petite élite de clubs hyper-riches.

Un football dans lequel la FIFA, ravagée par sa gouvernance malade, est d’une telle faiblesse institutionnelle et tellement peu équipée intellectuellement pour défendre son propre sport, qu’elle allait immanquablement – au lendemain de l’élection d’un président de fortune dont la première mission est de sauver l’institution en faisant semblant de la réformer – saisir l’opportunité de faire acte de “modernité”.

Un football dans lequel ni l’UEFA ni la FIFA n’ont élaboré de réflexion de fond sur l’arbitrage, pas plus que sur l’assistance vidéo – son intérêt, ses modalités, ses conséquences. Confédérations dont les dirigeants qui, comme Michel Platini, se sont opposés à cette solution, n’ont pas fait l’effort de produire un argumentaire étayé dans ce sens. [1]

“L’ARBITRAGE VIDÉO”, NOUVEL ÉLÉMENT DU SPECTACLE

L’objection est souvent entendue : “Qu’est-ce qui empêche d’essayer l’arbitrage vidéo ? Si c’est une si mauvaise solution, on fera marche arrière”. D’une part, c’est surestimer la capacité à se désavouer des partisans de la vidéo, qui occupent les positions dominantes dans les médias, même devant les évidences. D’autre part, c’est ignorer que des politiques désastreuses peuvent être menées indéfiniment : l’évolution récente de l’industrie du football le démontre tout aussi bien que d’autres domaines de la vie sociale, politique et économique. Enfin, c’est mal comprendre que le football, tel qu’il a évolué, appelle ce dispositif – au sens propre comme au figuré. Qu’il en est l’aboutissement logique, comme on a voulu le dire ci-dessus.

En se projetant un peu, on comprend aussi que “l’assistance” de la vidéo va créer un nouvel élément du spectacle télévisuel des matches. À la tension du jeu se déroulant en temps réel sur la pelouse, elle va substituer l’exploitation de nouvelles séquences : les interventions de l’arbitre vidéo, avec les traditionnelles rafales de ralentis, mais cette fois chargées d’un enjeu dramatique [2]. Les producteurs du spectacle, eux, n’auront cure de ce qu’ils auront fait au football, car leur produit aura été “amélioré”, intensifié, dramatisé. Les téléspectateurs eux-mêmes attendront des matches qu’ils fournissent cet élément de tension.

Le football qui a produit le vidéoarbitrage est certainement devenu un spectacle fascinant, produit par une industrie qui connaît une croissance phénoménale depuis vingt ans. Mais il ne cesse de s’éloigner, non pas d’un passé mythique et idéal, mais bien de lui-même : ce qu’on aime en lui devient la composante d’un dispositif plus vaste au service duquel il est mis. Jusqu’à quand sa magie résistera-t-elle à cette appropriation ?

[1] Se contentant d’invoquer le caractère “humain” de l’arbitrage et l’inégalité entre les différents échelons du football (c’est-à-dire les deux arguments les plus faibles).
[2] Et cette fois en soumettant aux téléspectateurs non plus un jugement passé, mais une décision à prendre : bon courage à “l’arbitre vidéo” auquel reviendra cette responsabilité, en particulier lorsqu’il devra juger une action ou un geste totalement ambivalent, impossible à trancher nettement. Les partisans de la vidéo se rendront peut-être compte qu’elle ne supprime pas les polémiques, mais en crée de plus violentes.

 

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