IMMUNITE PARLEMENTAIRE DE KHALIFA SALL : ENTRE EMOTION POLITIQUE ET VERITE JURIDIQUE

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Sur le dossier de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, des prises de position et déclarations sont faites ça et là, mais, généralement, elles correspondent beaucoup plus à de l’émotion politique (volonté débordante de voir le Maire de Dakar libre) qu’à la vérité juridique (interprétation des textes de bonne fois et suivant l’objectif du législateur). Le principal facteur qui perturbe l’objectivité des prises de position, c’est le caractère malveillant des accusations faites contre le Maire. En effet, d’abord, ces faits (utilisation de la caisse d’avance comme fonds politiques) jugés délictueux sont des faits constants voir banals car pratiqués par tous les Maires depuis l’indépendance. Ensuite, c’est seulement quand il s’est dressé contre un parti socialiste désormais dénudé de toute ambition politique et une coalition Benno Bok Yakar happé par l’appétit d’un deuxième mandat, que la justice a commencé à accabler le Maire de Dakar.

Les doutes sur l’indépendance de la justice n’ont jamais quitté l’esprit des sénégalais. Il faut d’ailleurs se souvenir que les tenants actuels du pouvoir avaient,  pendant qu’ils étaient dans l’opposition en 2012, accusé, ouvertement, les membres du Conseil Constitutionnel d’avoir reçu chacun un véhicule neuf et cinq millions de francs CFA pour valider la candidature controversée du Président sortant Abdoulaye Wade. Pour beaucoup d’observateurs, l’affaire Khalifa Sall n’est qu’une mascarade politico-judiciaire destinée à écarter le Maire de Dakar de la course à la présidentielle de 2019. Cette position est d’ailleurs défendable au regard du dossier d’un autre candidat, Karim Wade, condamné avec des arguments qui n’ont pas convaincus tous les sénégalais, gracié, mais exilé pour être également écarté des élections de 2019. Les pouvoirs publics ont demandé d’apporter un soutien pour la libération de Cheikh Tidiane Gadio épinglé aux Etats Unis pour malversations financières. Pourquoi n’ont-il pas fait autant pour Karim Wade et Khalifa Sall ?

L’indignation des souteneurs de Khalifa Sall est donc justifiée à maints égards. Mais elle ne doit pas conduire à les arracher à l’objectivité scientifique à propos de la levée de l’immunité parlementaire du mis en cause.

Que dit le règlement intérieur de l’Assemblée National ?

« Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions Le député est couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil Constitutionnel.

Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée.

Le député pris en flagrant délit ou en fuite, après la commission des faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale.

Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit tel que prévu par l’alinéa précédent ou de condamnation pénale définitive ».

 

Quels commentaires objectifs peut-on en faire ?

1. Lorsque la loi dit que le député bénéficie de l’immunité parlementaire dès son élection, ce n’est certainement pas pour le passé, mais pour l’avenir, c’est-à-dire pour des actes qu’il aurait posés en tant que député, donc à partir du moment où il devient député. Ce qu’il a fait ou dit avant d’être député ne saurait intéresser l’assemblée nationale. Si  l’immunité parlementaire commence à partir du moment où on devient député, elle ne peut logiquement pas couvrir des faits commis au moment où on ne l’était pas. Lorsque ces faits étaient commis, l’immunité n’avait pas commencé pour la simple raison qu’on n’était pas député. A la lecture des textes, il est clair que le législateur s’adresse à des députés en fonction au moment des faits litigieux et non pas

à des citoyens qui ne sont pas au moment des faits qui leur sont reprochés et qui le sont devenus par la suite.

  1. 2. A la lecture du règlement intérieur qui reprend textuellement la Constitution, il y a trois cas d’immunité parlementaire : le cas du député en session, le cas du député hors session et le cas du député pris en flagrant délit. Pour les faits qui sont reprochés à Khalifa Sall, ce dernier n’était ni en session, ni hors session, ni en flagrant délit. La loi vise donc les députés en exercice accablés par la justice. Elle s’adresse à des députés en fonction et non à des députés potentiels ou futurs. En droit, pour qu’on parle d’immunité parlementaire, il faut deux conditions : être député et être poursuivi ou arrêté en tant que tel, c’est-à-dire pour des faits qui auraient été commis durant l’exercice du mandat de député.

Comment peut-on soumettre au même traitement le député libre au moment de son élection et le député qui au moment de son élection est en prison car placé sous mandat de dépôt par une autorité dont le pouvoir est tiré de la loi ? Comment peut-on défendre, dans un Etat de droit, qu’un individu emprisonné parce qu’accusé d’un crime ou d’un délit soit immédiatement libéré parce qu’il est devenu député ? Un citoyen serait-il prêt à défendre qu’un individu qui aurait tué son frère ou violé sa fille soit libéré de la détention provisoire parce qu’il est devenu député avant le procès ?

L’immunité parlementaire n’a aucun sens si son évocation n’est pas associée à des faits et gestes reprochés à un député par la justice. Comment donc évoquer ces faits et gestes sans les rattacher à la période où ils auraient été commis ? Assurément, si ces faits et gestes ont été commis par un député durant son mandat, l’assemblée nationale peut se pencher sur son immunité parlementaire. Si, en revanche, ces faits et gestes sont commis par un citoyen qui n’est pas élu député, ça ne regarde pas l’assemblée nationale, même si ce citoyen devient député par la suite. Ceux qui défendent l’immunité parlementaire de Khalifa Sall commettent donc deux erreurs : ils détachent l’immunité invoquée des faits reprochés au mis en cause et, surtout, ils détachent les faits litigieux du moment ils auraient été commis (moment où il n’était pas député).

En 1999, la loi au Sénégal interdit l’excision et la punit pénalement. Doit-on alors emprisonner les exciseuses qui exerçaient en 1960 ou en 1970 ? Assurément non.  La loi est bien là, mais on ne peut pas s’en servir pour punir des faits antérieurs à son adoption. De la même manière, l’immunité parlementaire de Khalifa Sall est bien là, mais on ne peut pas s’en servir pour couvrir des faits antérieurs au moment où il a commencé à en bénéficier. La raison est simple : la loi n’est pas rétroactive (sauf dans des cas exceptionnellement prévus par elle-même) ; l’immunité parlementaire n’est pas rétroactive. Prenons un autre exemple : une loi votée en 2017 dit que tout footballeur sénégalais qui marque un but à la coupe du monde obtient 10 millions. Est-ce que dire que les butteurs de la Coupe du monde de 2002 vont recevoir 10 millions chacun ? Bien sûr que non parce que la loi prise en 2017 ne peut pas rétroagir pour couvrir des buts marqués en 2002. Elle va du présent à l’avenir et couvre les buts qui seront marqués après l’adoption de la loi.

Il faut donc être bien clair. On peut critiquer la rupture de l’égalité des citoyens en ciblant seulement Khalifa Sall pour des faits pratiqués par bien d’autres ; on peut s’indigner contre un acharnement qui conduit à lui refuser la liberté provisoire pour lui permettre de poursuivre correctement le travail remarquable qu’il même à la tête de la ville de Dakar ; on peut dénoncer la cabale politique dont il est victime ; on peut être surpris de l’attitude de ses camarades du parti socialiste qui l’auraient « vendu » à la justice pour faire plaisir au parti au pouvoir, mais on ne doit pas réclamer pour le cas particulier de Khalifa Sall la remise en cause du principe général de la non-rétroactivité de la loi. Même dans la colère et la révolte, il faut rester digne et véridique.

L’immunité parlementaire n’a pas pour objectif de promouvoir l’impunité au sein d’une institution aussi prestigieuse que l’assemblée nationale ; elle vise à permettre au député en fonction de poursuivre son importante mission envers le peuple. Sa raison originelle était de permettre au représentant du peuple de défendre ses idées librement sans être inquiété par le pouvoir exécutif ou le pouvoir judiciaire. L’idée est donc d’en faire un lieu de liberté d’expression, mais pas un refuge pour des personnes faisant l’objet de poursuites judiciaire. Khalifa Sall  n’est certes pas forcément coupable puisqu’il bénéficie

valablement un mandat présidentiel. A l’image de l’ancien ministre Mamadou Seck qui, accusé à tort, s’était libéré de toutes ses fonctions pour aller en justice et démontrer son innocence, Khalifa Sall devait refuser d’exercer sa fonction de député tant qu’il n’aura pas été déclaré innocent et libéré de toute poursuite. Ceci doit être pour lui un combat personnel. Parallèlement, le combat républicain que doit mener le peuple sénégalais est celui de l’indépendance de la justice. La tendance à instrumentaliser la justice pour humilier et écarter des candidats aux élections est une honte pour le Sénégal.

 

Rosnert Ludovic ALISSOUTIN

grefroska@hotmail.com

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