LA CRISE DE CROISSANCE DE LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE

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Enjeux2019 – La défection des acteurs politiques expérimentés a entamé durablement les fondements de la République – Le moment n’est-il pas venu de faire une loi sur le financement des partis politiques ?

L’espace politique sénégalais semble avoir basculé dans une nouvelle ère. Il existe en effet une réelle adhésion des citoyens à une autre façon de faire de la politique. Cette aspiration ancienne, qui n’a pas trouvé jusqu’ici un écho favorable dans les partis politiques, est amplifiée par les réseaux sociaux et les autres supports d’information qui sont des vecteurs de communication incontournables. Même les populations peu éduquées y trouvent leur compte. Les électeurs de plus en plus jeunes scrutent les contenus des discours. Les déclarations politiques, et c’est une première, sont soumises à une vérification minutieuse : le fact-checking. Ces jeunes électeurs tournent le dos à des politiciens qui continuent de tenir des discours en total déphasage avec leur vécu quotidien. La banalisation de la confrontation des idées et du savoir par la plupart des partis politiques a contribué à l’appauvrissement du discours politique qui se limite à des joutes verbales stériles, à des invectives et parfois à des confrontations physiques. Y compris dans l’enceinte du parlement. Le champ politique est devenu une « arène » où le langage le plus usité est celui des lutteurs.

– Ne naître à gauche que pour mourir à droite –

Les discours populistes des politiciens se distinguent par leur brutalité. La vieille garde politicienne garante farouche de ces dérives (à quelques rares exceptions près) a modifié le sens de son engagement initial, comme pour obéir au slogan : Ne naître à gauche que pour mourir à droite. Ces postures relativisent toutefois la réalité des convictions chez les uns et les autres. La défection des acteurs politiques expérimentés a entamé durablement les fondements de la République du Sénégal. De même que l’utilisation systématique de la persécution administrative et judiciaire pour éliminer des adversaires politiques a renforcé l’exigence populaire pour une gouvernance sobre et vertueuse. Ce sont les partis politiques qui doivent insuffler ce goût pour la République et par conséquent pour le respect des lois.

La désaffection et l’affaissement des partis politiques traditionnels sont liés en partie à l’absence de démocratie et de formation des militants. Ces partis sont souvent organisés autour d’un seul homme, animateur zélé d’un État jacobin ankylosé. L’inamovibilité du chef est aussi pour beaucoup dans la crise de croissance des partis politiques. Le fait que le chef de l’Etat soit en même temps chef de parti entraine un mélange des genres dangereux pour l’équilibre des institutions. La présidence de la République est restée l’épicentre d’une politique partisane entrainant irrémédiablement une rupture du contrat qui lie le peuple à son président. De même, le fait que les bus de l’entreprise nationale de transport (Dakar Dem Dikk) soient aux couleurs du parti au pouvoir dénote une volonté d’accaparement des attributs de l’État pour instiller dans l’esprit du citoyen une sorte de suprématie. Une privatisation de l’espace public en somme. Rares sont les partis politiques qui ont échappé jusqu’ici à l’engagement clientéliste qui entremêle la quête permanente de prébendes et l’infantilisation des populations à des fins électoralistes. Ainsi il existerait une sorte de loi non écrite qui voudrait qu’une fois élu, l’impétrant oublie vite celui qui l’a élu et les raisons pour lesquelles il a été élu. Du haut de son balcon, « l’élu » nargue les citoyens. Et parfois profère des menaces. Les forces de l’ordre, dernier rempart de la cohésion nationale, deviennent, malgré elles, le bras armé d’un État autoritaire de plus en plus décrédibilisé. Au Sénégal il en est ainsi depuis des lustres.

– Un “entre soi” ravageur –

La destruction méticuleuse des structures partisanes (partis) au nom d’un vaste rassemblement autour du « gâteau national » a cassé les ressorts démocratiques de la société sénégalaise. Ceci a entrainé le discrédit des politiques. On ne fait plus un gouvernement d’union nationale pour faire face à une crise politique, mais on le fait pour contourner le vote des Sénégalais en organisant un “entre soi” ravageur. Le machiavélisme dans un pays pauvre est une sorte de fuite en avant qui masque difficilement une absence de lucidité.  Cette méthode met en évidence une absence de convictions politiques dont la transhumance est une des dérives les plus mal vécues. Cela a paradoxalement ouvert un vaste couloir à des voix nouvelles en dehors des « écuries » politiciennes classiques. La dérive participationniste du parti socialiste a stoppé l’éclosion d’une perspective nouvelle en son sein et ceci a accéléré le bouleversement de l’espace politique. Les partis dans leur version classique sont devenus les réservoirs d’un immobilisme qui se réfugie souvent dans la péroraison politicienne qui accorde peu d’intérêt à l’électeur. On l’affame pour le convoquer ensuite à des élections à grands coups de slogans démagogiques.

– Plus bête que les bêtes, l’électeur nomme son boucher –

En 1902 l’écrivain Octave Mirbeau, dans son ouvrage la grève des électeurs, s’intéressait au sort absurde de l’électeur :

« Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois ».

Les citoyens de plus en plus conscients des enjeux sont à la recherche d’une alternative crédible à la politique politicienne. Le peuple sénégalais malgré son extrême dénuement aspire à un renouvellement qualitatif du discours et des comportements de la part de ceux qui sont chargés de conduire son destin. Les partis politiques doivent retrouver ce goût pour l’échange et le débat démocratique indispensables afin d’établir des consensus favorables à la mise en œuvre de projets viables dans le respect de la parole donnée. Un réel besoin de justice est également au cœur des revendications citoyennes. Ce sont ces thèmes centraux qui doivent faire l’objet de débats au sein des partis.

Le moment n’est-il pas venu de faire une loi sur le financement des partis politiques au Sénégal ? Légiférer dans ce sens permettrait de clarifier la situation tout en dissuadant les aventuriers d’accéder aux ressources nationales. Cela permettrait aussi de mettre un coup d’arrêt à l’immixtion brutale de certains investisseurs peu scrupuleux dans notre économie en friche.

Une pédagogie, même partisane, pour un développement endogène est plus efficace que le culte pour une émergence bling-bling qui ne profite qu’à quelques-uns.

#Enjeux2019

Almamy Mamadou Wane est écrivain, essayiste et poète. Éditorialiste à SenePlus.com. Il a publié plusieurs essais politiques. Il est l’auteur du livre “Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance”. Dans son dernier ouvrage “Le secret des nuages” paru à l’Harmattan il y a quelques semaines, il revendique une poésie sociale qui se veut au service de la collectivité.

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