La lettre du journaliste Adama Gaye qui a irrité le ministre de la justice

0
Le passage du ministre de la justice, Me Malick Sall à l’Assemblée nationale a été mouvementé par la prise de parole du député Mamadou Lamine Diallo qui s’est fait l’avocat du journaliste en exil en Egypt. Le ministre n’a pas caché sa colère d’entendre un député évoquer ce dossier qui, selon lui est toujours pendant devant la justice.  Adama Gaye a posté la lettre in extenso sur sa page Facebook. 
Honorable Député,
Je me réjouis de vous présenter mes devoirs en même temps que mes félicitations pour le remarquable travail parlementaire que vous abattez depuis des années au profit du peuple Sénégalais, que vous représentez si admirablement bien, en portant sa voix sur les questions les plus importantes sur sa vie présente et future.
Je suis honoré de passer par vous pour m’assurer que mon cas, symbolique entre tant d’autres, puisse être officiellement porté à l’attention de la représentation nationale au nom de ce que je crois être un devoir d’information sur une affaire qui mérite toute son attention –et son action.
Comme vous le savez, depuis quatre décennies, je suis un citoyen engagé dans le débat public, relatif aux enjeux économiques, sociaux et politiques du Sénégal, et plus largement du continent africain.
En ma qualité d’ancien directeur de la communication de la CEDEAO, d’Editeur du Magazine West Africa à Londres et d’écrivain, auteur d’ouvrages sur les questions fondamentales africaines, mais d’abord en tant que citoyen sénégalais, je n’ai jamais cessé de prendre position par mes écrits et par le verbe, sans que cela ne me vaille des conséquences susceptibles de restreindre mon action.
Or, le 29 Juillet 2019, au petit matin, sans notification, et faisant suite à mes écrits, relevant de mes prérogatives constitutionnelles, j’ai été sommairement cueilli à mon domicile et remis entre les mains, d’abord de la sécurité d’Etat, puis de la Justice, avant d’être inculpé et mis en prison pendant 53 jours avant d’être libéré sans explication ni justification aussi.
Le motif de l’inculpation, sur des termes changeants, portait, selon le Doyen des Juges d’instruction, Samba Sall, sur une offense au Chef de l’Etat (en vertu de l’article 80 qu’il avait promis d’abroger) et d’écrits susceptibles de déstabiliser la République.
Outre que j’avais constaté que ma souveraineté intellectuelle avait été piratée par les menées d’un Etat délinquant, n’hésitant pas à fabriquer des écrits dont je n’étais pas l’auteur pour me les imputer dans le but de me faire paraître pour ce que je n’étais pas, notamment en être porté sur des attaques ad hominem gratuites et insultantes, tout avait été mis en place pour me soumettre à un régime indigne des pires dictatures et Etats liberticides de l’histoire humaine.
Mon seul tort fut d’avoir voulu assumer ma citoyenneté. Car je suis convaincu que mes écrits, même les plus durs, vérifiables, fondés en raison et en droit, n’ont eu pour but que de participer à l’information du public conformément à ma mission de journaliste et d’analyste connu et reconnu au Sénégal, ailleurs en Afrique et dans le monde.
Ce qui s’apparente à une prise d’otage de la part de l’Etat du Sénégal, dont j’ai été la victime, et que j’ai détaillé dans un ouvrage que j’ai, depuis, publié aux Editions l’Harmattan, à Paris, sous le titre : Otage d’un Etat, d’une prison sénégalaise aux pyramides d’Egypte, n’est donc pas banale.
C’est dire qu’au-delà de mes droits constitutionnels violés et de mon intégrité physique violentée, dans des conditions inhumaines contraires à toutes les lois de la République, que ma détention aussi arbitraire qu’illégale est un acte qui insulte la démocratie et la mémoire institutionnelle du Sénégal.
A ma libération, tout aussi arbitraire que le fut mon arrestation, je ne me suis pas, plus, senti en sécurité dans mon pays.
J’avais vite compris que la liberté provisoire qui me fut accordée n’était rien d’autre qu’une épée de Damoclès destinée à permettre à mes geôliers étatiques, agissant au mépris des règles de droit, de profiter de la moindre occasion, y compris en prenant prétexte de mes écrits, pour me remettre en prison –sans raison autre qu’une volonté de me museler.
A seule fin de m’empêcher d’aborder des questions de fond, notamment le bradage de nos hydrocarbures, la régression de notre démocratie pour pérenniser un pouvoir impopulaire, ou encore les actes de mal-gouvernance économique et financière qui ne cessent de s’amplifier.
Libéré le 20 Septembre 2019, j’ai décidé de quitter le Sénégal, non pas pour seulement répondre à une invitation de l’Université américaine du Caire pour écrire sur la saga que j’ai vécue mais pour trouver en Egypte un lieu de refuge, d’exil, dans un pays où une remarquable hospitalité m’a été offerte. Sans que ma liberté d’expression sur les questions sénégalaises ne soit obérée.
Voici plus d’un an que je vis en exil. J’aurais pu rester dans mon pays si je n’étais pas convaincu d’avoir eu affaire à une violence d’Etat, à un abus de droit, à l’utilisation d’une force aveugle pour me maintenir dans les liens de la justice rien que pour me mettre hors d’état d’assumer la plénitude de mes droits citoyens.
Malgré l’intercession de hauts dignitaires sociaux du Sénégal, dont le Khalife Général des mourides, qui m’a témoigné son soutien par l’envoi de ses proches, et en dépit du fait que tous les Sénégalais savent que j’ai été victime d’une privation de liberté injustifiée et injustifiable, je n’avais d’autre option que de partir en exil.
Je n’avais jamais pensé qu’un jour le Sénégal serait à ce point intolérant vis-à-vis de l’expression démocratique jusqu’à menacer la liberté de ses citoyens qui entendent en jouir, comme c’est mon cas.
Les accusations portées à mon encontre, me faisant passer pour quelqu’un qui insultait le Président de la République, Macky Sall, que je connais bien, pour l’avoir notamment aidé à décrocher le premier contrat pétrolier de sa carrière, qui devait être au bénéfice du Sénégal, n’étaient qu’un prétexte.
La preuve : à ce jour, mon dossier judiciaire, n’impliquant aucune diffamation sur mes écrits, est resté en somnolence.
Je ne suis pas un insulteur et les méthodes cavalières de l’Etat du Sénégal tendant à me faire passer pour tel, avec l’aide de scribes, plus mercenaires que promoteurs de la vérité, n’honorent pas notre pays.
Ce qui est plus criminel, c’est que la justice sénégalaise, malgré tout le temps passé depuis ma liberté, ne veut pas clore ce dossier pour m’empêcher d’exercer mes droits à ester en justice afin que les compensations dues par l’Etat du Sénégal me soient payées et que les sanctions qu’il faut puissent être appliquées.
Je suis, pour ainsi dire, la cible d’un banditisme d’Etat…
Sur un autre plan, devenue un lieu de pratique de tortures voire de tueries extra-judiciaires, la prison de Rebeuss où j’avais été jeté, au milieu de détenus de droit commun, dans une chambre infecte et infestée de brigands de haut vol, restera, dans ma mémoire, comme un lieu de déshumanisation dont le projet était de me faire abdiquer mon droit à ma liberté d’expression.
Parce que je suis conscient que l’Etat, agissant illégalement, n’a pas fini de vouloir me réduire en silence, par tous les moyens, je crois qu’il était sage que je me mette à l’abri, au loin, en exil, en espérant que les dérives criminelles et l’injustice qui caractérisent la justice sénégalaise soient levées.
Le temps est venu pour mon retour dans mon pays. A la condition que les garanties pleines et entières auxquelles j’ai droit, comme tous les citoyens ne traînant aucune tare ni faute envers la société, soient préservées, assurées, respectées.
Ma sécurité que je crois menacée par les abus de droit et la violence illégitime d’Etat sont d’autres raisons justifiant ma prudence et mes prévenances.
Du Caire d’où je vous saisis en voulant aussi alerter les autres membres de la représentation nationale et, au-delà, l’ensemble de la population sénégalaise, je suis profondément inquiet pour les failles qui ont fini de déclasser le Sénégal dans la compétition sur les normes vertueuses, démocratiques, et sur la course à l’excellence dans la gestion, qui retiennent l’attention des nations les plus performantes au monde.
Le Sénégal, mon pays, ne peut se contenter d’un statut dans la catégorie des médiocres, les derniers de la classe, dans laquelle il s’enlise dangereusement et pourrait perdre ce qui fut longtemps son label d’Etat tourné vers le combat démocratique. Si rien n’est fait, ce sera hélas le cas.
J’ose, sous ce rapport inquiétant, espérer que ma présente lettre retiendra, Honorable Député, et digne fils de notre pays, toute votre attention et celle de vos collègues, ainsi que du peuple entier de notre nation.
Je salue, pour conclure, votre Assemblée.
Profonds Respects
Adama Gaye
Journaliste, Consultant et Ecrivain Sénégalais En Exil au Caire
Ps : Je précise que citoyen respectueux de toutes les règles de notre pays, il m’est arrivé, même depuis mon arrivée au Caire, de faire des offres de projets susceptibles de contribuer au mieux-être de nos compatriotes. J’assume mon droit de commercer avec l’Etat du Sénégal en toute transparence.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici