Ma si longue lettre à mes jeunes frères et sœurs Sénégalais pour demander pardon (Par Mouhamed Dia)

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Vous qui êtes nés avant ou durant la première alternance politique et qui êtes en âge de voter, je vous écris cette lettre pour vous demander pardon et vous préparer à ne pas commettre l’erreur que nous avions commise, car nous sommes la raison principale que vous vivez ce que vous vivez en ce moment. Je vais vous expliquer ce qui s’est passé pendant que vous étiez d’innocents enfants sans soucis.

Avec l’alternance de 2000, le Sénégal était dans l’euphorie totale. Vers 23h40 le soir du 19 mars 2000, le général Cissé appellera le président Diouf pendant 20 minutes et lui dira que « La situation est difficile pour vous et pour votre parti ». Il a appelé le président Diouf à cinq reprises et a tout fait pour le convaincre d’accepter sa défaite ; il réussira finalement à le convaincre en lui disant : « Si vous félicitez votre adversaire comme vous l’avez promis à votre directoire de campagne, vous serez le vainqueur moral de cette élection. » Plusieurs personnes du camp de président Diouf voulaient le dissuader d’accepter sa défaite. N’eut été la sagesse du Général Lamine Cissé et la grandeur du président Diouf est-ce que le pays n’allait pas vivre son premier coup d’Etat ?

Une alternance réussie grâce à Moustapha Niasse

Certes, le président Wade a été un farouche opposant et a gagné les élections présidentielles de 2000, mais cela n’a été possible qu’avec tous les acteurs, mais principalement Moustapha Niasse qui a présenté le président Wade au président Senghor. Tout commencera de là jusqu’à l’accession au magistère suprême. Il a quitté le Parti socialiste en 1999 et comme raison il avait dit entre autres que la corruption et les fraudes électorales étaient trop présentes dans le paysage politique du Sénégal. Il critiquera le bilan du président Diouf en disant que “le mandat présidentiel doit être constitutionnellement limité à deux termes et non pour des périodes de sept ans, mais bien de cinq ans au maximum. Il est évident et aujourd’hui amplement prouvé que ce qu’un chef d’Etat n’a pu réaliser en dix ans, il ne pourra jamais le réaliser en vingt ou trente ans”. Il dira aussi qu’aucun pays ne s’est développé sur la base d’aide des pays industrialisés. Il accusera le général Cissé d’avoir fait fabriquer deux types de cartes d’électeur, les cartes sénégalaises et les cartes israéliennes.

Le général Cissé ne niera pas, mais donnera comme raison de vouloir vérifier l’infalsifiabilité des cartes avant de le rendre public. Bref, il y avait huit candidats et tous des hommes avec la seule femme s’étant retirée faute de moyens financiers. Parmi ces candidats, il faut noter Abdou Diouf qui avait 65 ans, Abdoulaye Wade qui avait 74 ans et Moustapha Niasse qui lui avait 61 ans. Pendant ce temps Macky Sall était chef de la division Banque de données de PETROSEN. Durant les élections présidentielles de 2000, Diouf recevra 41,33 % des voix, Wade recevra 30,97 % et Niasse recevra 16,76 % des voix. Tous les autres candidats recevront moins de 10%. Durant le second tour, presque les mêmes personnes ont voté pour le président sortant, Abdou Diouf, car ayant reçu 41,51 % des voix contre 58,49 % avec l’aide de la coalition pour Abdoulaye Wade. Le Sénégal vit sa première alternance politique de son histoire. Abdoulaye gagne finalement des élections présidentielles après avoir perdu en 1978, 1983, 1988 et 1993.

Les 12 ans de règne des libéraux

Le taux de chômage était de 40 % avec une croissance très faible surtout si elle est comparée à la croissance démographique. Le ratio de dépendance démographique qui est « celui entre l’effectif de la population qui dépend des autres et l’effectif de la population qui peut prendre en charge les autres » étaient de plus de 80 %. Une infime partie de la population qui travaillait s’occupait du reste, car il n’y avait pas assez d’emplois. Le taux de pauvreté avait atteint 50 % et cela avoisinait 60 % en milieu rural et cela résulta à un exode rural massif des jeunes.

Comment pourra-t-on ne pas commencer par la première bévue durant la première élection locale quand avec effarement, nous avons tous appris que feu Serigne Saliou, khalife général de Serigne Touba sur terre, avait été investi tête de liste de leur coalition Sopi 2002. Nous n’avons toujours pas trouvé de qualificatif pour cette bourde.

Le 26 septembre 2002, nous assisterons au naufrage du bateau le Joola qui coûtera la vie à 1863 personnes officiellement contre 65 survivants pour un bateau qui était conçu pour transporter 500 passagers. Certains diront que le président a préféré réparer l’avion présidentiel au lieu du bateau en connaissance de cause, car un des moteurs était en panne, d’autres diront que certains membres du gouvernement ont même essayé de prendre des pièces des moteurs de certaines industries de notre pays. A titre de comparaison, le Titanic avait fait environ 1500 morts et 700 rescapés.

Et la mallette d’Alex Segura ? Un fonctionnaire du FMI en rentrant en Espagne a reçu une mallette contenant 100.000 euros et 50.000 dollars en cash du gouvernement. Quand il a découvert la somme, il a alerté les autorités du FMI qui ont retourné les fonds par le biais de l’ambassadeur du Sénégal à Barcelone.

Et les fonds Taiwanais ? En 2006, le Sénégal avait reçu 7,5 milliards de la Chine pour divers projets sociaux. Cet argent n’est jamais rentré dans les caisses de l’Etat et cela a créé des tensions diplomatiques entre le Sénégal et la Chine. On nous dira plus tard que l’argent avait atterri dans le compte bancaire du fils du conseiller spécial du président de la République.

Et le plan Takkal ? Malgré plus de 600 milliards de FCFA investis, le problème de l’électricité n’a été réglé qu’après 2012. Cela résulta à la marche de protestation des imams de Guédiawaye contre les factures trop élevées malgré les délestages incessants. Le ministre de l’Energie à l’époque reconnu même que sur 720.000 factures, environ 159.000 comportaient des anomalies.

Et la cherté de la vie ? Le coût de la vie était encore raisonnable durant l’époque où vous êtes nés ou étiez des enfants. Le kilogramme de riz qui coûtait 140 Francs CFA est monté à 240 Francs CFA en 2008. Le kilogramme de viande de mouton qui coûtait 1200 Francs CFA en 2000 coûtait 2580 Francs CFA en 2007. La bouteille de gaz de 6 kilogrammes qui coûtait 1495 Francs CFA en 2004 coûtait 3109 en 2007 et celle de 12 kilogrammes qui coûtait 3615 Francs CFA en 2004 est passée à 7165 Francs CFA en 2007. Le prix du sac de riz de 50 kilogrammes est passé de 9 500 Francs CFA à 17.000 Francs CFA à Dakar et 20.000 Francs CFA dans les autres régions du pays. Vous trouvez normal que la population marche pour décrier la cherté de la vie ? C’est ce que je crois aussi, mais malheureusement la marche a causé la mort d’un homme par balle et 21 personnes condamnées puis graciées.

Et la violence ? Sous le régime libéral, 12 Sénégalais ont été assassinés et aucun procès n’a été organisé pour situer les responsabilités. Paix à leurs âmes. A titre de comparaison, le président Diouf avait lui radier 94 commissaires de police, 14 officiers de paix supérieurs, 201 officiers de police, 42 officiers de la paix, 383 inspecteurs de police, 101 sous-officiers de la paix et 5430 gardiens de la paix quand Baba Ndiaye fut détenu et torturé à mort au commissariat du IV arrondissement.

Et l’autoroute à péage que nous trouvons très utile ? Malgré l’utilité de cette autoroute, il est important de vous dire que le Sénégal a financé 181,5 milliards de francs CFA sur les 306,5 milliards du financement public. Le groupe Eiffage Sénégal n’a financé que 20,8 milliards de francs CFA sur les 61 milliards de francs CFA du financement privé et que la SENAC est responsable de l’exploitation de l’autoroute jusqu’en 2039.

Et le 23 juin 2011 ? La date ou le président Wade a officieusement perdu le pouvoir en voulant faire voter ce projet de loi qui avec 25 % des voix nécessaires, le ticket présidentiel d’un président et d’un vice-président allait être élu. Cela allait lui permettre de céder le pouvoir à son fils. Le Sénégal a failli basculer dans le chaos total, mais le projet de loi a été retiré à temps.

La liste est exhaustive, mais nous ne pourrons pas tout lister, mais entre autres nous pouvons citer quelques scandales que vous pourrez rechercher pour plus d’information. 25 milliards ont été dépensés pour un tunnel sur la corniche ouest, 52 milliards pour la construction des villas dites présidentielles du Méridien président et les 20 milliards de l’affaire SUDATEL.

Les 6 ans et demi du règne républicain

Là, vous commencez à grandir et vous entendez une seconde alternance politique au Sénégal. Nous avions souffert sous le régime libéral tellement que n’importe qui allait faire l’affaire. Le régime républicain semblait venir avec un nouveau souffle qui est celui d’une gouvernance sobre et vertueuse qui était le refrain préféré de son leader.

Sous le règne républicain, en 2013, la dette représentait 45,7 % du PIB, 50,6 % en 2014, 55,7 % en 2015, 59 % en 2016 et 61,44 % en 2017. Le taux de pauvreté est de 47 % et nous faisions partis à un moment des 25 pays les plus pauvres du monde et sommes toujours parmi les pays les plus pauvres du monde.

Et la réduction du train de vie ? Le président avait promis de réduire le nombre de ministres à 25 ce qu’il a fait pendant quelques mois avant d’augmenter ce nombre et de nommer une flopée de ministres conseillers. Ce régime a supprimé le sénat et d’autres agences d’une part pour après créer des institutions budgétivores que sont le HCCT et le CNDT entre autres. Il avait aussi promis la réduction du train de vie de l’État et nous ne voyons que l’arrogance de la part de ses collaborateurs et d’ailleurs, il paraît que le président s’était payé une Mercedes à un milliard pendant que la capitale n’avait pas d’eau pendant trois mois. Quelles que soient les raisons de l’achat de cette voiture, le timing n’était pas bon car le peuple souffrait. Le président Sall nous parlait, pendant qu’il était candidat, « d’une présidence de rupture et de progrès » mais je ne vois rien qui ait changé entre son magistère et celui du président Wade. Il parlait aussi « d’un nouvel ordre de priorité » pendant que le palais présidentiel était devenu un GAB et une annexe du siège de l’APR. Est-ce le président de tous les Sénégalais ou chef de parti ?

Le président qui décriait l’implication de la famille du président Wade dans les affaires de l’Etat en tenant ces propos : « Je ne mêle jamais ma famille à la gestion du pays. Si mon frère a été amené à être cité dans des affaires de sociétés privées, c’est parce que je lui avais justement indiqué très clairement, dès ma prise de fonctions, qu’il ne bénéficierait jamais de ma part d’un décret de nomination, notamment en raison de l’histoire récente du Sénégal (Wade père et fils) et parce que je ne voulais pas être accusé de népotisme ». Je ne vais pas te dire tous les postes que son jeune frère occupe, mais saches qu’il a bénéficié d’un décret de nomination.

Et la justice ? Il est le président du Conseil supérieur de la magistrature et il nomme et gère l’avancement des magistrats. Comment peut-on parler d’indépendance de la justice dans ce cas ? Quand la justice a demandé à Ousmane Ngom de ne pas sortir du territoire, le président Sall l’amena avec lui en voyage en Guinée Conakry. Cheikh Omar Hann, Directeur du COUD avait été aussi épinglé par l’OFNAC, mais c’est la directrice qui a été limogée pour avoir bien fait son travail. Le président Sall avait promis une indépendance de la justice, mais rien n’a été fait dans ce sens. Il disait aussi qu’il ne protégerait personne : « à tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protègerai personne. Je dis bien personne ». Il en a tellement protégé que l’exception en est devenue la règle. Une seule personne est jugée et condamnée par la CREI sur une liste de 25 personnes.

Et les dépenses somptuaires à but électoraliste ? L’autoroute Ila Touba est en train d’être achevée à l’aide d’un prêt concessionnel d’un montant de 416 milliards de francs CFA (634 millions d’euros). 32 milliards de francs CFA dédiés à la construction de l’arène nationale hébergeant les combats de lutte. Le centre international de conférence Abdou-Diouf et le complexe sportif Dakar Arena nous ont coûté plus ou moins 126 milliards de francs CFA. Sans oublier la promesse de la construction d’un stade olympique de 50 000 places en 2020. Et le fameux TER qui reliera Dakar à l’aéroport international Blaise-Diagne (57 km) dont le premier wagon a été réceptionné par le Premier ministre ? Même la Banque mondiale a averti de la non-rentabilité de ce projet. Le gouvernement s’est entêté pour la mise en œuvre, d’un coût de 750 milliards de francs CFA.

La liste est loin d’être finie et nous pouvons aussi citer d’autres scandales tels que Petrotim, Bictogo, Mittal, les scandales fonciers, la Banque de Dakar et les exonérations fiscales entre autres.

Vivre dans le déni ?                  

Nos deux présidents depuis 2000 se sont lancés dans le projet d’infrastructures, certains nécessaires d’autres à but électoraliste. Quand on est pauvre, il faut savoir qu’on est pauvre et savoir où investir le peu de ressources dont nous disposons. Le « modèle économique » utilisé par ces deux présidents est très similaire, ils ont tous les deux crus à des modèles qui ne sont pas adéquats dans notre pays. La croissance endogène ne s’applique pas à notre pays, car chaque pays a son modèle unique à lui. Un pays classé 162e sur 188 selon l’indice de développement humain, un pays qui compte 0,07 médecin pour 1 000 habitants, qui affiche un taux de pauvreté de 47 % et dont la dette publique représente plus de 60 % du PIB doit-il se préoccuper d’arène de lutte, d’un TER dont le contrat a été très mal négocié, d’une autoroute Ila Touba dont la rentabilité est hypothétique ? Mes jeunes frères, je vous exhorte à avoir plus de lucidité que nous quand nous avions cru que le président Wade allait créer des emplois pour tout le monde et que nous avions cru que le président Sall allait bannir l’injustice sociale et que « le fils du badolo ait la même chance que le fils d’un tel » comme il le disait.

Ne soyez point émerveillés par les réalisations que vous voyez et sachez que le bilan du président de la République équivaut à son travail et il ne doit pas être félicité pour avoir fait son travail. Le travail qui mérite d’être félicité, c’est sortir du Sénégal des pays les plus pauvres, d’investir dans la santé, l’éducation et la création d’emplois. Cette création d’emplois ne se fera qu’à partir du développement du secteur primaire et principalement du secteur agricole. Regardez autour de vous et vous verrez dans vos familles et dans nos familles des diplômés qui chôment, des malades qui ne peuvent pas se soigner, des personnes qui ne peuvent pas continuer leurs études faute de moyens financiers, des adultes qui devaient se prendre en charge et qui sont pris en charge.

Pensez-vous que ces gens que nous éliront ont les mêmes problèmes que nous ? Non, ils ont des maisons de fonction, des voitures de fonction, des gardiens qui veillent sur eux et leurs enfants, des bons d’essence, des salaires décents, ils détiennent de multiples titres fonciers, ils envoient leurs enfants dans les meilleures écoles pendant que nous sommes en grève (les fils du président Wade étaient en train d’étudier en France pendant qu’il nous demandait de boycotter nos cours.) Ils ne se soignent pas au Sénégal ou s’ils se soignent au Sénégal, ils vont dans les meilleures cliniques privées. Pourquoi pas nous ? Ont-ils pitié de nous ou ont-ils oublié les cars rapides et les clandos ? Nous marchons des kilomètres pour aller à l’école, nous ne mangeons pas le petit-déjeuner et allons à l’école quelquefois. Combien de femmes meurent en donnant naissance, combien de personnes meurent du paludisme à cause de nos hôpitaux que je qualifie d’antichambre de la morgue pendant que des dépenses inutiles se font du matin au soir.

Les jeunes frères et jeunes sœurs, de grâce, ne commettez pas l’erreur que nous avions commise. Choisissez le candidat que vous pensez peut réellement développer le Sénégal de manière concrète. Nous payons toujours les pots cassés 18 ans plus tard. Rien n’a changé. Ne vous laissez pas adulée par des chiffres dont eux seuls ont les vrais donnés. Nous ne disposons pas des données de la croissance économique, mais seulement de ce que le gouvernement nous donne. Ne soyez point flattés par le TER, le BRT à venir, Ila Touba, Dakar Arena, le monument de la renaissance, l’aéroport Blaise Diagne, le tunnel de la corniche Ouest, le projet de Diamniadio, les bus Dakar Dem Dikk. Il faut plutôt demander qu’est ce qui a été fait pour la santé, dont le budget est inférieur aux intérêts que nous payons pour le service de la dette, pour l’éducation dans le long terme, quand nous disposons toujours d’abris dit provisoires et qu’on se vente d’une arène de lutte, et surtout pour la création d’emplois durables ?

Ne laissez personne vous dire que cela va prendre du temps et que c’est un plan à long terme. Un plan qui développera le Sénégal est possible, mais ce n’est point ces plans qu’on nous a proposés ces dernières 18 années, mais plutôt d’une montagne qui accouche d’une souris. Nous ne pouvons pas continuer dans cette lancée, l’heure a sonné pour le changement. Mon petit frère, ma petite sœur, aimes ton pays et soucies toi de l’avenir de ton pays. Les hommes partent, mais le Sénégal demeurera.

Mohamed Dia, Consultant bancaire

Email : mohamedbaboyedia@gmail.com

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