Pour un prix raisonnable de l’électricité

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L’annonce des nouveaux prix de l’électricité au lieu de susciter une réflexion de fond sur le devenir du secteur et sur la meilleure manière de baisser les couts, a entrainé au niveau de la classe politique une campagne de stigmatisation de la SENELEC de ses dirigeants et de ses travailleurs.

En effet, l’augmentation du prix de l’électricité a mis au – devant de l’actualité la SENELEC, ses dirigeants et notamment les travailleurs qui sont devenus les boucs émissaires pour nombre de politiciens à la recherche soit d’un buzz (pour faire mode) ou soit pour noircir le tableau afin de préparer le terrain à des lobbies capitalistiques et politiques de tout bord. Ainsi, de Moustapha Diakhaté, ex-ministre conseiller, à Barthélémy Diaz du Parti socialiste, maire de Sacré Cœur, en passant par Madiambal Diagne dans les lundi de Madiambal ( curieuse tribune dans  son journal qui lui donne la posture d’un franc- tireur à distance et donneur de leçon sur les questions importantes de la cité), à Babacar Gaye qui publie dans son Facebook le refus médiatisé de payer sa facture, et enfin Maître Masokhna Kane de SOS consommateurs, pour ne citer que ceux-là, les travailleurs sont traités de tous les noms d’oiseaux.

Pour M. Diakhaté, le salaire moyen des travailleurs de la Senelec est simplement scandaleux, et participe des charges qui sont à la base de la cherté de l’électricité, confondant sciemment salaire moyen et moyenne des frais du personnel par travailleur. Pour un économiste, nous pensons que c’est à dessein qu’il nous attribue tout cela. Alors qu’il fut député et président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakar pendant un moment, il n’a jamais fait état des 1500 frs qui était versé au titre des impôts (sur 5 millions précise-t-il de salaire de président de groupe parlementaire), donc de sa participation au budget qu’il votait. Pour Maître Massokhna KANE, nous racontons des histoires quand nous parlons de pertes non techniques, de fraude pour faire simple.

L’avocat et le président de l’association des consuméristes qu’il est ne connait pas le règlement de services qui régente nos rapports avec les clients (Aout 2018), règlement qui dispose lorsqu’un client n’a pas une puissance souscrite de 17 KW, il peut être mis dans le prépaiement (Woyofal). Le président de SOS consommateurs n’a jamais évoqué dans ses diatribes le tarif de l’électricité, naguère appliqué dans les concessions rurales, plus cher que le tarif en cours en zone urbaine, c’est l’Etat qui a mis fin à cette iniquité, il y a peu. Pour ce consumériste en chef, nous devons payer l’électricité au même titre que tout le monde. L’avocat qu’il est n’est pas un justiciable comme vous et moi, s’il venait à avoir maille avec la justice, il faut saisir son ordre à travers le bâtonnier, c’est dire que le fait de porter une robe noire lui confère des privilèges que nous n’avons pas. Pourquoi devrions – nous perdre le mérite de bénéficier d’un tarif réduit du fait de notre proximité avec les lignes 225 KV et même 380 V, où chaque jour nous sommes face au risque électrique.

Cette électricité que nous produisons, transportons et distribuons avec aujourd’hui toute la qualité requise, nous confère ce mérite. Ces métiers que nous exerçons avec passion, avec amour afin que les usines tournent, que toutes les chaumières, les villas, les villages soient éclairés, nous donne ce droit. Ailleurs, ceux qui sont dans un domaine d’activité propre bénéficient de privilèges qui y sont attachés, comme ceux qui sont au tribunal qui bénéficient de privilèges du fait de cette proximité. C’est dire que si on n’est pas dans l’amalgame, ou la mégalomanie, ou tout simplement le lobbying pour des forces ténébreuses qui voudraient entrer le secteur de l’électricité dans la perspective de la réforme qui sera mise en œuvre à travers la filialisation, il faut trouver d’autres causes à l’augmentation du prix de l’électricité.

Que ce ne sont ni les 10,5 % sur le CA, de frais au titre des dépenses sur le capital humain (salaires, cotisations sociales, formation etc.), encore moins la gestion de la SENELEC par l’ex-DG, qui sont à l’origine de l’augmentation du tarif. En réalité, dans ce débat qui prend prétexte de l’augmentation du prix de l’électricité on peut distinguer ceux qui veulent la tête de l’ex-DG, ceux qui travaillent à l’entrée des aventuriers dans le secteur et qui voudraient justifier une privatisation (ce sont ceux qui parlent du népotisme des syndicats de l’entreprise, du tarif payé par les travailleurs) et enfin les contribuables dont le pouvoir d’achat est érodé, attaqué. Les travailleurs sont solidaires avec les derniers nommés car l’électricité n’est pas un luxe et est indispensable et devrait d’un niveau de prix accessible à toutes les populations.

Nous pensons qu’une réflexion qui dépasse le sens commun des politiciens et chercheurs de buzz, devrait nous montrer, les voies et moyens pour aboutir à non seulement un accès universel à l’électricité (au moins 40% des populations notamment en milieu rural n’ont pas accès à l’électricité ce qui signifie qu’ils ne sont pas subventionnées par l’Etat à ce titre, ils sont des citoyens Mr Kane), mais aussi à un cout raisonnable pour tous. En effet, il faut intervenir sur deux aspects majeurs caractérisant le secteur pour aboutir à une tarification correcte. Il s’agit de l’indépendance de notre pays dans les choix d’investissement et la problématique du rendement global du système électrique.

Ainsi, une rationalisation des investissements à travers une diversification des financements et un recours à l’épargne nationale, une part plus grande dans la production propre à la Senelec, la consolidation du renouvelable dans le mix énergétique et le recours limité au IPP devrait nous permettre de faire baisser les couts de l’électricité de façon importante. Compte non tenu de la perspective du « Gaz to Power », il est nécessaire de rompre avec l’orientation consistant à mettre en place des moteurs à combustion interne de façon principale. Non seulement, les puissances unitaires sont faibles et les rendements mitigés, mais aussi les couts O&M sont très élevés. Ainsi, pour plus d’efficience et afin de disposer d’une plus grande marge de manœuvre quant aux couts, il requiert d’investir dans les Cycles combinés avancés qui ont des rendements de +60%.

Pour un investissement en capital en moyenne (LCOE)1 de 794 à 990 $US / KW contre 1371 pour une centrale à combustion interne, il y a un gain de l’ordre de 2000 Btu/ Kwh avec l’exploitation d’un cycle combiné au gaz ou au DO/FO. Ce n’est pas demain que nous éliminerons les combustibles fossiles avec la fluctuation du prix du baril sur lequel nous n’avons aucune prise, c’est pourquoi il urge de procéder un renversement de perspective de façon opportune avec l’avènement de la production du gaz au Sénégal. Ainsi le « Power to Gaz » devrait viser entre autres ce modèle technique. Il s’y ajoute que le mode de financement des IPP, se fait avec des taux d’emprunt très élevés avec plusieurs intermédiaires ce qui alourdit le processus et rend la rémunération du capital onéreuse.

Ce type de financement n’est pas transparent au bénéficiaire du produit qui comme le pays garantit à travers un contrat de Take or Pay pour assurer la pérennité du projet. Il y a par ailleurs « a bulk of insurance contract » un nombre impressionnant de contrats d’assurances pour tous les risques liés à ce type de projet, dans un pays tiers. On comprendra dès lors qu’un emprunt par Senelec ou sa participation comme Co Lead Manager dans ce modèle de financement aurait permis d’amoindrir les amortissements des dépenses en capital, ce qui impacterait le cout de revient de l’électricité produite. C’est dire que le recours à ce modèle prôné par le BM dans son dogme de ne fait qu’enrichir les banques et ne concourt pas à la baisse des couts.   Ce mode de financement autour des syndicats de banques n’est bénéfique que pour ses initiateurs.

Le cas de GTI en est symptomatique car, 10 ans après la mise en œuvre du projet ils ont récupéré leur mise et des bénéfices, ce qui explique qu’ils n’ont pas jugé rentable d’investir pour la réparation d’une panne majeure de leur turbine en 2012.  Les travailleurs injustement licenciés courent derrière leurs dus, suite à une condamnation en dernière instance de la société en charge de l’exploitation MEGS, pour licenciement abusif. De même, en dehors de l’impact sur le compte courant (CC) et la balance des paiements (BDP), les 11, 5 % 2 de part de l’énergie renouvelable dans le parc de production ne peuvent pas impacter le prix de l’électricité, du fait des modèles de financement qui les ont mis en place.   Au total, nous devons disposer de plus d’autonomie pour rechercher les financements dont le secteur a besoin, intéresser et associer le privé national à la participation à l’effort de renouvellement de toutes les infrastructures lignes de transport- centrales et réseaux de distribution, la production par les sources d’énergie renouvelables. Ce n’est qu’ainsi que les couts vont baisser et garantir de façon durable un accès de l’électricité pour toutes les populations.

Le deuxième facteur sur lequel il y a lieu d’intervenir c’est le rendement global qui du fait des pertes techniques et non techniques est un instrument sur lequel gagner un point permettra de procéder à une redistribution des gains de productivité donc de baisser les couts donc les tarifs. Cela passe par la recherche de l’efficience énergétique (incluant les choix d’investissement) mais aussi la lutte contre la fraude qui continue à prospérer. Pour dire que ce n’est pas en lorgnant sur les acquis des travailleurs que les couts pourront réellement baisser, il faut une véritable réflexion de tous les acteurs pour que ce secteur vital pour le développement de notre pays ne soit remis à ceux qui ne sont intéressés que par le profit.

La SENELEC continue à recruter des travailleurs et le ratio frais de personnel sur chiffre d’affaires est autour de 10,5 %, alors que la norme dans les sociétés d’électricité est entre 15 et 20%.3  Ceux qui nous en veulent n’évoquent pas les intérims sans fin au niveau des sociétés de télécommunications qui ont été privatisées.  L’augmentation des tarifs est plus liée à des raisons structurelles qu’au tarif préférentiel des travailleurs ou à une crise née de la gestion de la Senelec, encore moins au retard de réforme de l’entreprise. Il est important de rappeler que c’est l’engagement des travailleurs et des dirigeants de l’entreprise qui ont permis que la qualité du service public de l’électricité soit aujourd’hui au rendez -vous et qu’il est permis de croire qu’il est possible de baisser les couts à court terme.

Abdoulaye SENE 

Socio- Anthropologue, Economiste  Chef de

spécialité Production CFPP SENELE

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