Pourquoi ce silence international face à la réforme de Museveni en Ouganda?

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En Ouganda, l’opposition au Parlement se prépare à déposer un recours devant la Cour constitutionnelle pour invalider la loi que le président Museveni vient de promulguer. Cette réforme constitutionnelle a notamment permis de lever la limite d’âge pour être candidat à la présidentielle. Concrètement, cela signifie que le chef de l’Etat ougandais, au pouvoir depuis 1986, pourrait se représenter en 2021 pour un nouveau mandat. Il aurait alors officiellement 77 ans. L’opposition ne conteste pas seulement le résultat, mais la procédure, parlementaires tabassés ou payés, des gardes armés envoyés dans l’hémicycle. Un passage en force face auquel la communauté internationale est restée globalement silencieuse. Un silence qui n’étonne ni l’opposition ni la société civile ougandaise. Pourquoi? Eléments de réponse.
C’est un quasi bis repetita de 2005. A l’époque, Yoweri Museveni ne pouvait plus se représenter, le nombre de mandats étant limité à deux, il a réformé sa Constitution sans qu’il y ait la moindre sanction. Impunité quasi totale à l’intérieur du pays, comme à l’extérieur, disent les experts. « Le président Museveni, c’est comme Paul Kagame au Rwanda, il pouvait massacrer, tuer, violer, piller le Congo, grâce à Washington, l’aide continuait de couler à flots », commente même un observateur averti.

C’est la thèse que la chercheuse et journaliste Helen Epstein développe dans son livre Les Etats-Unis, l’Ouganda et la lutte contre le terrorisme. Dès les premières années, après le coup d’Etat, Yoweri Museveni s’est rapproché des Américains, bon élève de la lutte contre le terrorisme avant même le 11-Septembre. Depuis, il aurait reçu au total 20 milliards d’aide au développement, 4 milliards, d’effacement de dettes, un soutien militaire, financier, logistique, formation, sans doute très important, on n’en connaît pas le montant.

Et pas seulement des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne ou même actuellement de la France, ce qui permet aujourd’hui à l’armée ougandaise d’être considérée, malgré les exactions commises, comme l’une des plus puissantes et professionnelles du continent. Protégée sans doute également par son déploiement en Somalie face aux Shebab. « Museveni, comme Kagame, représente un facteur de stabilité, même s’il s’agit d’une vision de court terme », admet une source diplomatique « sans oublier qu’il a du pétrole », ajoute-t-il en guise d’explication.
Pour le porte-parole du chef de l’opposition au Parlement ce n’est pas une surprise

Ibrahim Ssemujju dit ne rien attendre : « Tant que Museveni déploiera des troupes en Somalie pour combattre leur guerre, la communauté internationale ferme les yeux sur les violations des droits de l’homme ou des lois en Ouganda. Donc on ne s’attend pratiquement à aucune aide de la part de ces pays, on ne fonde aucun espoir sur eux. Car ils se sont montrés incapables ces dernières années de rappeler Museveni à l’ordre. Donc on ne veut plus perdre du temps avec eux. Parce que vous savez dans le passé, on a espéré à chaque fois qu’ils disent quelque chose ou fassent quelque chose. Donc aussi longtemps que Museveni jouera leur jeu dans la région, je crois qu’ils n’auront pas la volonté de critiquer ses excès. Donc nous avons appris à ne compter que sur nous-mêmes. Ces pays attendent toujours que la situation dégénère. Quand Siyaad Barre était au pouvoir depuis 24 ans, Kadhafi pour 42 ans ou même Moubarak plus de 30 ans, ils ne s’en sont jamais préoccupés jusqu’à ce que les problèmes soient là. Mais vous ne pouvez pas demander à une population d’être patiente et d’attendre, quelles que soient les souffrances. Certains pourraient finir par se résoudre à la violence. »

■ Un passage en force que certains espèrent voir échouer

« D’abord, il y aura cet appel, beaucoup de parlementaires se préparent à porter l’affaire en justice et espèrent que la Cour constitutionnelle va revenir sur la loi, confie l’activiste des droits de l’homme ougandais Nicholas Opiyo. Mais au-delà du processus légal, il y a aussi un volet politique, organiser des campagnes pour contester le Parlement comme institution qui ose prendre une décision allant à l’encontre de l’opinion publique majoritaire dans le pays. Quand on regarde ce que ça dit du processus démocratique, les parlementaires sont allés partout à la rencontre de leurs électeurs, ils les ont consultés, ont demandé si leurs électeurs souhaitaient ou non que la loi passe. Et il se dégageait une prise de position très claire, la très grande majorité des Ougandais était contre cette loi. Mais quand les parlementaires sont revenus dans l’hémicycle, ils ont voté en faveur de ce texte. Donc beaucoup d’acteurs politiques ont prévu de revenir vers les électeurs, de faire campagne contre la loi. Et si la procédure devant la Cour suprême échoue, de battre campagne contre ses parlementaires qui ont voté sans tenir compte de l’opinion de leurs électeurs. »

■ Analyse : la multiplication des mandats présidentiels est loin de faire l’unanimité en Ouganda… comme sur le reste du continent

« La limitation du nombre de mandats présidentiels rencontre un vrai succès à travers le continent, analyse Boniface Dulani, de l’institut de sondage Afronbaromètre. Si vous regardez les données que nous avons collectées, trois quarts des citoyens africains souhaitent limiter le nombre de mandats présidentiels à deux maximum ! Il y a évidemment plusieurs exemples de pays africains qui ont retiré cette limitation de leur Constitution. C’est le cas de l’Ouganda, et pourtant, 85% des citoyens du pays souhaitent que la présidence soit limitée à deux mandats. C’est un exemple parmi d’autres. Il y a aussi le Togo, le Tchad, le Gabon, le Cameroun, le Burundi qui ont levé la limitation des mandats. D’autres ont quant à eux refusé d’en délimiter le nombre. Par contre, au Burkina Faso par exemple, lorsque le président a voulu modifier la Constitution, ça a mené à de grandes manifestations. Tout ça montre qu’il y a une déconnexion entre ce que les souhaits des citoyens et ce que les présidents veulent. »

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