«Pourquoi je dis que près de quatre millions de Sénégalais sont sujets à risque au Coronavirus»

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Cardiologue, expert en hypertension artérielle et enseignant-formateur en Cardiologie, Dr Mouhamadoul Mounir Dia a accepté, pour L’Observateur, de se pencher sur la problématique Covid-19, maladie cardio-vasculaire et mortalité. Dans cette interview très instructive, réalisée par mail, l’ancien interne des Hôpitaux, médecin-conseil en assurance maladie et Secrétaire général de la Société sénégalaise de cardiologie révèle que dans la seule population des hypertendus, près de quatre millions de Sénégalais sont des sujets à risque au Coronavirus.
Selon beaucoup d’études scientifiques publiées dans des revues médicales de renom, les patients présentant des facteurs de risque cardio-vasculaire ou une maladie cardio-vasculaire pré-existante représentent une population vulnérable face à la COVID-19. En tant que spécialiste, comment expliquez-vous cela ? Il est aussi soutenu que les patients présentant une souffrance myocardique dans le contexte du Covid-19 ont un risque accru de morbidité et de mortalité. Qu’en est-il réellement ?
Ah oui. La Covid-19 a une certaine affinité avec le myocarde qui peut être atteint même chez la personne qui n’avait pas de cardiopathie. Imaginez alors le cas des patients qui souffraient déjà du myocarde. Ces derniers sont exposés à tous les types de complications cardio-vasculaires liées au coronavirus. Le myocarde peut être le siège d’une inflammation appelée myocardite, ce qui le rend faible et défaillant. Cette défaillance du cœur se nomme insuffisance cardiaque et la personne est essoufflée au moindre effort. Le myocarde peut aussi souffrir parce que le coronavirus aura favorisé une obstruction du sang dans les artères coronaires du cœur qui deviennent bouchées, c’est l’infarctus du myocarde, communément appelé crise cardiaque. Dans d’autres cas, cette inflammation du cœur peut l’emballer et le faire battre de manière trop désordonnée et anarchique, provoquant des troubles du rythme cardiaque. Certains de ces troubles provoquent une mort subite. Toutes ces atteintes du cœur, liées au coronavirus, augmentent donc de façon considérable la mortalité cardio-vasculaire de cette maladie.
Par quel procédé le virus qui, en termes profanes, s’attaque aux poumons, arrive-t-il à provoquer une détresse cardiaque ?
Certes le virus pénètre souvent dans l’organisme via les voies respiratoires. Mais en réalité, une fois à l’intérieur, ce coronavirus attaque aussi bien les poumons que le cœur et les vaisseaux. Il faut comprendre que c’est le même procédé qui permet au virus de coloniser aussi bien la cellule pulmonaire que la cellule du myocarde ou des vaisseaux. Il est aidé en cela par la même protéine appelée ACE 2. Il colonise alors la cellule myocardique en provoquant une inflammation du myocarde qui perd de sa force de contraction. De la même manière, le microbe rend la paroi des artères moins souples, provoquant une cascade de phénomènes qui peuvent boucher ces vaisseaux. C’est ce qui explique, notamment les crises cardiaques et les embolies pulmonaires. Au-delà de ces atteintes directes du virus, ce dernier peut provoquer une flambée de produits très inflammatoires qui vont, à distance, provoquer des lésions myocardiques et vasculaires. C’est ce que nous appelons l’orage de cytokines. Tous ces phénomènes en chaîne font que nous voyons, à côté des lésions pulmonaires, beaucoup de complications cardio-vasculaires liées au coronavirus.Pour le cas du Sénégal, à combien estimez-vous, en tant que cardiologue, la population de malades du cœur à risque ?
C’est difficile à dire. Mais nous pouvons donner des estimations assez simples. Prenez l’exemple des hypertendus au Sénégal. Nous savons que 29,8% de notre population adulte est hypertendue. Et dans cette population, près de 10% seulement ont leur tension artérielle bien traitée et bien normalisée. Or, une hypertension artérielle mal équilibrée expose à une forme grave en cas d’infection par le coronavirus. Cela signifie que 90% des malades d’hypertension artérielle sont à risque. Ainsi, dans la seule population des hypertendus, près de quatre millions de Sénégalais sont à risque. Compte non tenu des autres sujets à risque, présentant déjà une cardiopathie avérée qui sont d’ailleurs les plus exposés.
Il a été constaté beaucoup de morts subites ces derniers temps. Qu’est-ce qui expliquerait ce phénomène, surtout en cette période de pandémie ?
Vous savez, de manière générale, une mort subite est presque toujours liée à une origine cardio-vasculaire. Et habituellement, la maladie responsable de cet accident était déjà présente mais seulement méconnue. Dans certains cas aussi, il s’agit d’une cardiopathie connue mais irrégulièrement suivie. Vous voyez bien que, dans cette situation d’infection à Covid-19, qui attaque le myocarde, une mort subite ou autre accident grave peut survenir sur terrain favorable. Parce que certaines maladies sournoises peuvent être silencieuses, comme l’hypertension artérielle, les excès de cholestérol, certaines maladies du cœur. Cela peut provoquer un accident cardio-vasculaire grave durant une situation de vulnérabilité. Il est alors très important pour tout sujet de 40 ans et plus, de faire systématiquement un bilan de santé au moins une fois chaque année, même si on n’a aucun symptôme apparent.
Ailleurs, dans le monde, l’accès aux traitements d’urgence, y compris la revascularisation coronaire, selon la société de cardiologie européenne, peut être perturbé en fonction de l’importance de l’épidémie au niveau local. Est-ce le cas actuellement au Sénégal ?
L’activité de revascularisation a baissé, dans certaines de nos salles de coronarographie, comparativement aux années passées. Les estimations comparatives sont en cours, avec les différents collègues, au sein de la Société Sénégalaise de Cardiologie, pour en déterminer exactement les causes. Mais nous pensons que cela est dû à la baisse de la fréquentation de nos structures de santé par les patients qui craignent d’être infectés par le coronavirus.
Justement il existe également une forte inquiétude sur la recrudescence de pathologies cardio-vasculaires prises en charge tardivement, en raison de la peur des patients d’avoir recours au système de santé pendant la pandémie. Les cardiologues sénégalais sont-ils confrontés à cette situation ?
Il s’agissait là d’une véritable inquiétude pour nous, durant les deux premiers mois de l’épidémie au Sénégal. Beaucoup de nos patients avaient peur de se déplacer vers les structures sanitaires, de peur d’être infectés par le coronavirus. D’autant plus qu’il y avait le slogan «restez chez vous» pour limiter les déplacements et circonscrire l’épidémie. A cela s’ajoute l’insuffisance du dispositif de téléconsultation nous permettant de les suivre à distance. Nous avons dû sensibiliser davantage pour faciliter la poursuite des soins, indispensable pour nos patients cardio-vasculaires, pour éviter toute décompensation parfois grave. Mais tout ceci doit se faire dans le strict respect des mesures barrières contre la propagation de la maladie.
Selon vous, y a-t-il une corrélation directe entre le nombre de morts qui ne cesse de grimper au Sénégal et les maladies cardio-vasculaires ?
Oui, clairement, les décès liés à la Covid-19 concernent préférentiellement les personnes vulnérables. Comme nous l’avons vu, les maladies cardio-vasculaires sont au premier plan, causant la majorité des cas de réanimation et de décès. Un autre aspect à souligner, c’est le dépistage parfois tardif de ces cas vulnérables. J’invite donc tous les patients atteints de comorbidités, à ne négliger aucun symptôme et se rapprocher des structures de soins ou des médecins traitants. Un diagnostic très précoce de la maladie permettra de réduire considérablement le risque de cas graves et de décès. Mais, naturellement, tout devra se faire dans le strict respect des mesures barrières.

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