SODAV : Lettre ouverte à Macky Sall ( Par Bouna M. Fall)

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A Monsieur le Président de la République

Excellence,

C’est avec un réel soulagement que nous avons pris connaissance, via le communiqué du conseil des ministres du mercredi 14 octobre 2020, de l’instruction suivante : « Le Président de la République a demandé au Ministre de la Culture de procéder, avec toutes les parties prenantes, à l’évaluation institutionnelle et financière de la SODAV et à la mise en place, fonctionnelle, de la Commission permanente de Contrôle des sociétés de gestion collective ».
Depuis le 06 octobre 2016 la SODAV a remplacé le Bureau sénégalais des droits d’auteur (BSDA).

Dans ce basculement inédit, du management public au management privé, des modalités de gestion collective des droits rien n’est étranger à votre ferme résolution de moderniser la Politique Culturelle du Sénégal.
En effet, la loi 2008-09 de janvier 2009 portant sur le droit d’auteur et les droits voisins a été élaborée, adoptée et mise en œuvre dans le cadre d’un processus dont vous avez été un acteur majeur.

En votre qualité de Premier ministre puis de Président de l’assemblée nationale vous avez validé la préparation administrative et supervisé l’adoption parlementaire de la dite loi.

Comme Président de la République, l’histoire vous a fait signataire du décret portant agrément de la société civile de gestion collective prévue la loi sus visée et dénommée SODAV ( Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins).

La signature de l’acte de naissance de la SODAV, en février 2016 pour une durée de cinq ans, emportait deux effets juridiques.
D’une part la dévolution du patrimoine de l’ex BSDA à la SODAV, et d’autre part l’inclusion des droits voisins dans le périmètre de gestion des droits.

Afin que ces deux effets juridiques puissent jouir de leur plein développement, il a été mis en place un cadre institutionnel souple de nature civile, donc supposée bénéficier d’une flexibilité de gestion à même de permettre un rapide déploiement.

En effet, au regard des défis posés par le dynamisme de l’écosystème numérique dans lequel évoluent désormais les industries culturelles, une rapide adaptation institutionnelle offrirait une jouissance méritée de leurs droits aux artistes.

Toutefois, et en contrepartie l’article 124 de la loi 2008-09 prévoyait la mise en place d’une Commission Permanente de Contrôle composée de représentants de la Cour des comptes, de la Cour suprême, de l’Inspection Générale des Finances et du Ministére de la Culture.

Conscient de l’importance de cette Commission, dés le mois d’octobre 2016, des courriers ont été envoyés aux structures citées afin que des représentants soient désignés et puissent accompagner la jeune société dans son essor.
La Cour des Comptes répondra favorablement à notre requête et désignera son représentant, de même que le Ministére de la Culture.

Il ne restait plus que l’Inspection Générale des Finances et la Cour suprême pour que la liste soit transmise à la tutelle afin que le décret de désignation des membres de la Commission soit élaboré.

Hélas, à notre départ en février 2017 de la SODAV, le processus ne sera pas poursuivi et la Commission Permanente (sic) de Contrôle n’est pas encore fonctionnelle aujourd’hui.
Ains, bien qu’un cadre juridique et institutionnel très innovant ait été mis en place, le secteur des services culturels peine à transformer en actifs financiers les biens culturels, malgré une créativité retrouvée.

L’explication est à rechercher alors en interrogeant la dimension éthique et les capacités managériales mises en œuvre dans la gestion de la SODAV.

Au regard de l’insatisfaction proclamée des ayants droit qui sont les titulaires des droits gérés par la SODAV, il n’est nul besoin d’évoquer la question des capacités managériales des dirigeants actuels de la SODAV.
Étant considéré comme un tiers de confiance jouant le rôle d’intermédiaire entre les utilisateurs du répertoire des œuvres et les artistes, une société de gestion collective des droits doit éviter la suspicion.
Le seul doute étant largement suffisant à invalider toute forme de légitimité au « mandataire des artistes » qu’est la SODAV.

Sur le plan professionnel, les dirigeants de la SODAV ont été en dessous des attentes de l’histoire.

Le rappel des conditions de départ du premier directeur de la SODAV ( après la démission de la Première présidente du Conseil d’administration) servira d’illustration aux errements du management de la SODAV.

Le premier Directeur de la SODAV a été désigné suite à une procédure transparente et inédite d’appel à candidatures, saluée à l’époque par l’ensemble des acteurs.

Sélectionné en octobre 2014, ce Directeur a dû attendre deux ans avant de prendre fonction en octobre 2016. On ne l’entendra jamais s’en plaindre.
Cette relation de confiance a été trahie quelques mois après la prise de service.

Pourtant 100 jours après la prise de fonction la Direction avait présenté des résultats prometteurs devant les acteurs culturels réunis à Sorano, dont :

- Une réduction des charges de 5,6% malgré le contexte de restructuration avec les frais engagés pour renouveler l’équipement informatique et procéder aux réparations d’urgence du siège de la société trouvé dans un état de délabrement avancé et menaçant ruine.
- Une augmentation des recettes de 28%, sur un trimestre comparativement à l’ancienne gestion.

En dépit de ces résultats le CA, dans sa majorité, a limogé le directeur sans préavis ni paiement de ses droits et de manière abusive en défonçant la serrure de la porte de son bureau et interdisant l’accès aux huissiers venus constater la voie de fait.

Cette révocation était due au fait que le directeur avait refusé l’imposition d’une double signature du directeur et du PCA sur tous les documents relatifs à des actes de gestion courante.
Démarche irrégulière dans la mesure où les membres du CA sont des sociétaires et à ce titre ne peuvent pas eux-mêmes contrôler et gérer la société en même temps.

Au même moment pourtant, un travail titanesque de mise en place du nouveau cadre de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins ainsi que des instruments juridiques subséquents a été mené par le premier directeur de la SODAV avec l’appui du personnel remotivé de l’ex BSDA et d’un groupe de stagiaires qualifiés.

Dans cette dynamique les précautions et diligences managériales suivantes ont été prises :
0- Lancement du processus de désignation des membres de la commission permanente de contrôle des sociétés de gestion collective, à notre départ deux institutions sur les quatre ayant déjà désigné leurs représentants (Cour des comptes et Ministére de la Culture) ;

1- Production d’un mémorandum fiscal deux semaines après la prise de fonction ;

2- Prise de contact avec une société d’assurance pour l’analyse et la couverture du risk manangement ;

3- Élaboration d’un modèle de financement endogène, pour la valorisation du patrimoine immobilier de la société, avec l’appui d’une institution financière dédiée (BHS)

4- Conformément à la résolution du CA, engagement d’un cabinet pour l’élaboration du plan stratégique de développement.

5- Conformément à la résolution du CA, engagement d’un expert en informatique pour l’installation du nouveau système d’information relative à la répartition des sommes collectées. Cette mission était conduite à 30% à notre départ.

6- Audit du réseau informatique de la société ;

7- Reprise de l’ensemble du cadre normatif de gestion collective des droits par le renouvellement des contrats de réciprocité avec les autres sociétés de gestion, reprise des négociations entre les plateformes numériques et la SODAV, actualisation de tous les contrats généraux de représentation

8- Audit et numérisation du répertoire de la société afin de mettre à jour les contrats obsolètes et ceux tenus secrets, donc non comptabilisés par le service de la perception.

A cinq mois de l’expiration de l’agrément accordé à la SODAV, on peut s’interroger sur le bilan de cette première société de gestion collective privée. Nul doute que la Commission de Contrôle après son évaluation institutionnelle et financière permettra à l’autorité de disposer d’éléments indiscutables.
La question est de savoir si le portage institutionnel privé a fait la preuve de son efficacité et de sa transparence.

En tout état de cause, les Industries de la Culture se trouvent plus que jamais à la croisée des chemins et l’expérience de la pandémie a démontré avec la fermeture des salles de spectacles, que les recettes traditionnelles ont fait leur temps.

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