De « Game of Thrones » à « Mrs Fletchers », comment #MeToo a transformé la représentation du viol et du consentement dans les séries ?

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« Tu dois traiter les femmes avec respect », préconise Eve Fletcher à son fils, Brendan, ado ingrat biberonné aux films porno, dans le premier épisode de la nouvelle dramédie de HBO, Mrs Fletcher, diffusée en France sur OCS. « Le consentement doit être verbal et enthousiaste. Il peut être révoqué. Il doit être réitéré », explique-t-on pendant la conférence à laquelle Brendan assiste lors de son intégration sur le campus de l’université.

Ces séquences féministes qui évoquent la question du consentement étaient-elles inimaginables avant #MeToo ? Comment ce mouvement mondial de libération de la parole des femmes a-t-il transformé les représentations du viol et du consentement à la télévision ?

« Sex Education », série modèle de l’ère post-#MeToo

A l’ère post-#MeToo, de plus en plus de voix réclament une autre représentation de la sexualité, du viol et du consentement à l’écran. Sex Education, sortie le 11 janvier 2019 sur Netflix, deux ans après que l’ex-héroïne de Charmed, Alyssa Milano, a relayé le fameux hashtag le 15 octobre 2017, fait office de série modèle. Ce «teen drama» propose une représentation de la sexualité adolescente, inclusive, émancipatrice, tant pour les filles que pour les garçons, et met en scène une masculinité non toxique, loin des paradigmes patriarcaux du porno que Brendan a intériorisés dans Mrs Fletcher.

La série aborde habilement la notion du consentement via la question du harcèlement. Dans l’épisode 7 de la saison 1, Liam, jeune lycéen, consulte le héros, Otis, parce qu’il ne comprend pas pourquoi Lizzie, malgré son insistance, refuse d’aller au bal avec lui. « J’ai essayé tous les gestes romantiques », confie Liam. « Tu as essayé de lui demander ? », lui demande Otis. « J’ai commencé par cela. Elle a dit qu’elle était flattée, mais qu’elle ne voulait pas de petit ami », répond le jeune lycéen. « Je sais que c’est difficile, mais si tu lui as demandé et qu’elle a dit “non”, alors tu as ta réponse », rétorque Otis. Et d’insister : « Tu comprends, Liam, non, ça veut dire non. »

« Faire meilleure presse au féminisme »

Dans Sex Education, on note la « volonté de sensibiliser via les outils de la fiction, à une question politique, de faire meilleure presse au féminisme », salue Sabrina Moro, doctorante et chargée de cours à l’université Nottingham Trent (Royaume-Uni), qui travaille sur les représentations des agressions sexuelles dans les médias contemporains. En coulisse, la production est également exemplaire. « La série a mis en place des procédures pour les scènes de sexe et s’assure de la sécurité et du bien-être des acteurs et des actrices grâce à une coordinatrice d’intimité. C’est un problème qui a été mis en lumière par #MeToo », félicite encore la chercheuse.

De Mad Men à House of Cards en passant par Broadchurch, les séries n’ont pourtant pas attendu #MeToo pour parler d’agressions sexuelles et de consentement. « Les personnages de séries télévisées ont fait un travail de sensibilisation, et il a été popularisé par #MeToo », commente l’experte.

De « 13 Reasons Why » à « Girls », les séries qui ont devancé #MeToo

« Les médias ont beaucoup traité de la question des agressions sexuelles sur les campus américains en 2014 et 2015. Les séries ont répondu à ces cas médiatisés », observe encore Sabrina Moro. L’épisode 10 de la saison 1 The Bold Type, diffusée depuis le 20 juin 2017 sur Freeform et disponible depuis le 9 février 2018 sur Amazon Prime Video, est un « commentaire direct sur l’affaire d’agression sexuelle d’Emma Sulkowicz, étudiante à l’université de Columbia », rappelle la chercheuse. Alors que l’université n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité, Emma Sulkowicz a attiré l’attention des médias avec une performance intitulée « Carry That Weight », qui a consisté à trimballer partout sur le campus universitaire le matelas sur lequel elle avait été violée.

Sortie sur Netflix le 31 mars 2017, la notion de consentement s’est aussi au coeur de l’intrigue de la première saison de 13 Reasons Why. Dans l’épisode 11 de la saison 1, alors que Clay et Hannah sont sur le point d’avoir des rapports sexuels, le jeune homme lui demande : « Es-tu sûre ? ». Des mots simples à l’importance capitale. Dans les épisodes 9 et 12 de la saison 1, Jessica et Hannah subissent un viol. 13 Reasons Why inscrit ces « agressions sexuelles dans un contexte de sexisme structurel ». 13 Reasons Why, en questionnant « les genres, les orientations sexuelles, les classes sociales », rappelle « que le consentement n’est pas juste un désaccord entre deux personnes, mais se pense dans le contexte de relations de pouvoir plus larges dans la société. »

Une thématique déjà explorée dans Jessica Jones, diffusée à partir du 20 novembre 2015 sur Netflix. On y voit l’héroïne (Krysten Ritter) surmonter le traumatisme lié à l’abus psychologique et physique exercé par le puissant Kilgrave (David Tennant). « Pour pouvoir consentir, il faut pouvoir être entendu. On le voit avec l’affaire Adèle Haenel, la question se pose de qui peut se permettre de briser le silence ? Et qui voit sa prise de parole entendue ? », souligne l’experte.

Une question également abordée dans le troisième épisode de la sixième saison de la série de HBO Girls, diffusé le 26 février 2017. Cet épisode mettait en scène Hannah (Lena Dunham) tiraillée entre l’admiration qu’elle porte à un écrivain et le dégoût qu’elle ressent après avoir lu le témoignage de quatre femmes qui l’accuse d’avoir abusé sexuellement d’elles. « Cet épisode met en lumière la question de la promotion canapé » posée par #MeToo et de l’abus des gens de pouvoir qui exigent des « gratifications sexuelles de la part des personnes dont ils ont le pouvoir de faire ou défaire la carrière ».

Avant #MeToo, la banalisation du viol dans « Game of Thrones »

Depuis #MeToo, les séries ont « fait des progrès » pour aborder les questions de représentation des agressions sexuelles et du consentement, mais reste le danger de « tourner la prise de parole en spectacle », insiste la chercheuse, qui rappelle que les séries répondent à des « logiques marchandes ». Et l’on revient de loin sur ces problématiques.

D’Outlander à Game of Thrones en passant par The Handmaid’s Tale, les séries ont longtemps utilisé « le viol comme un motif narratif » et représentaient « les agressions sexuelles de manière spectaculaire » pour pimenter le show. La banalisation de la représentation du viol à l’écran montre que nous baignons dans une culture du viol. Game of Thrones, la série la plus populaire du XXIe siècle a mis en scène pas moins de 50 viols dans les cinq premières saisons, selon les comptes de la blogueuse Tafkar.

En saison 1, la relation entre Daenerys Targaryen et Khal Drogo commence par un viol, et pourtant cette dernière tombe amoureuse de son agresseur : « Un motif que l’on trouve dans de nombreux textes, films et séries et qui n’est pas inintéressant », juge l’experte. Puis, dans la saison 4, c’est Cersei Lannister qui est violée par Jaime, son frère et amant, à côté de la dépouille de leur fils. En saison 5, le viol de Sensa Stark par le sadique Ramsay Bolton sous le regard de Theon Greyjoy a suscité l’indignation d’une grande partie du public, les critiques américains ont parlé alors parlé de « torture porn ».

« Présenter le consentement comme un simple désaccord entre deux personnes »

Dans le premier épisode de la saison 1 de The Affair, la scène durant laquelle Noah Solloway observe le coït d’Alison et Cole Lockhart est tout aussi problématique. Du point de vue d’Alison, la scène est un rapport sexuel brutal, mais consenti. Du point de vue de Noah, il s’agit d’un viol dans lequel le personnage féminin est perçu comme prenant du plaisir. « Le viol conjugal devient un acte sexuel banal et une transgression jouissive pour la femme comme pour l’homme voyeur », soulignait Iris Brey, auteure de Sex and the Series : sexualités féminines, une révolution télévisuelle, lors d’une conférence à Series Mania en 2016. « Il faut se méfier du motif narratif “elle a dit, il a dit” parce qu’il présente le consentement comme un simple désaccord entre deux personnes », souligne Sabrina Moro, déplorant que même les séries policières dédiées aux crimes sexuels comme Law Order : Special Victims Unit ou Cold Justice : SexCrimes, tombaient parfois dans ce schéma.

Pire encore, dans certaines séries, les agressions sexuelles étaient souvent « invisibilisées », note la chercheuse. Si tout le monde se souvient du viol d’Anna Bates dans l’épisode 3 de la saison 4 de Downton Abbey, qui peut se targuer avant #MeToo d’avoir discuté de l’agression sexuelle dont est victime Lady Mary dans la première saison du succès britannique lorsqu’après avoir refusé sept ou huit fois les avances du diplomate turc, Kemal Pamuk, elle finit par se rendre ? « Lady Mary se rend mais se rendre n’est pas dire “oui”, rappelle l’experte. Cette scène n’est pas discutée comme une agression sexuelle, elle est vendue comme une histoire romantique », regrette la chercheuse. A l’instar de certaines scènes de James Bond, cette scène perpétue le canevas de la romance prédatrice où le personnage masculin finit par s’imposer à des femmes qui refusent leurs avances.

La question du consentement n’est pas inhérante aux séries, et de nombreuses séries vont encore s’emparer de ce sujet difficile et délicat. Ryan Murphy envisage la production d’une anthologie intitulée Consent sur le mouvement #MeToo, Michaela Coel, la créatrice de Chewing Gum, prépare pour HBO une série qui ambitionne de faire «  la distinction entre libération et exploitation ». Des projets qui vont expliquer que « non, c’est non » et à qui l’on dit un grand « oui ».

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