Démocratie et liberté, saviez-vous vraiment leur signification ?

0
Démocratie
Je suis désolé et triste d’observer ce qui se passe dans mon pays.
Démocratie et liberté, saviez-vous vraiment leur signification ?
On a vu que la difficulté ne résidait pas tellement dans une incompatibilité de principes entre les deux notions, mais plutôt dans l’arrimage difficile entre une procédure de choix collectifs respectant certaines règles de légitimité et le caractère moral de ces choix eux-mêmes. La première n’assurant aucunement le second, on ne peut concevoir une structure démocratique garantissant un choix juste et qui le serait selon des critères universels. Une autre manière de poser le problème serait de se demander si le type de justice que l’on peut associer à la démocratie ne devrait pas être traduit autrement qu’en termes d’équité et d’impartialité. Ce que la démocratie montre, en tout premier lieu, ne serait-il pas à trouver dans la liberté politique ? En effet, si une procédure démocratique est équitable et impartiale, elle ne le sera que si les différences existant entre les volontés des individus ont été respectées. Ce que l’on respecte, c’est bien le droit des individus à exprimer librement leurs opinions et leurs désirs pour tout ce qui touche la vie publique ou tout ce qui serait susceptible de limiter la sphère de la vie privée. Mais comme on l’a vu aussi, si la démocratie ne peut exister sans le respect de chaque opinion, la décision finale ne pourra pas refléter un tel pluralisme. Ainsi, un choix pourrait avoir été approuvé par un vote démocratique mais n’en être pas moins contraire au respect de droits fondamentaux, comme celui de la liberté d’expression par exemple. La démocratie peut exprimer un libre choix de la part des membres du groupe politique, mais ce libre choix peut conduire à l’abrogation de certaines libertés. La question est alors de savoir si la démocratie, ou toute instance politique légitimée par celle-ci, peut avoir un droit de regard sur absolument toute chose. En somme, quelles sont les limites infranchissables de la liberté ?
2On associe souvent liberté et autonomie personnelle. La limite infranchissable de toute action politique, fut-elle légitimée par un processus démocratique, serait alors l’autonomie de la personne. Les choix d’une personne n’ont pas à être délimités par une décision collective, car chacun est normalement maître de sa propre existence. Même si cette existence est gâchée par de mauvais choix, ceux-ci n’en possèdent pas moins une valeur ayant une priorité absolue sur toute autre valeur : ces choix sont ceux de l’individu lui-même. Ce que l’on doit respecter, c’est l’intégrité physique et morale de toute personne, quelle que soit cette personne. Par exemple, on ne devrait pas interdire à Alexis de porter une chemise de mauvais goût, car ce mauvais goût ne concerne que lui, même si nous devons en subir la vue. Il n’en va pas de même si ces préférences sont elles-mêmes susceptibles de remettre en cause la liberté d’autrui ou de porter atteinte à sa personne. Il faut respecter les choix d’Alexis, non pas en raison de cette personne elle-même, mais parce que n’importe quel individu mérite une égale considération. Conduire à une vitesse beaucoup plus élevée que la limite permise témoigne peut-être d’un goût pour la vitesse qui n’a rien de répréhensible en soi, mais le risque d’un accident impliquant la mort d’une personne est trop grand pour ne pas y voir la possibilité élevée d’une atteinte à la sécurité d’autrui. J’interdirai à Richard de conduire trop vite, non pas afin de punir son goût pour la course automobile sur les routes de campagne mais en raison du danger lié à cet acte. S’il était possible d’offrir les mêmes délectations à l’amateur de haute vitesse par des simulations virtuelles, on ne verrait pas pourquoi on l’empêcherait d’en profiter, à moins bien sûr que ce plaisir virtuel ne soit un incitatif pour conduire à tombeau ouvert sur de véritables routes. En interdisant ce type de comportements, on ne légifère pas sur des préférences, mais bien sur les conséquences probables, voire réelles, de celles-ci. Ou pour le dire plus précisément, on légifère sur les actions motivées par des préférences qui elles-mêmes auront des conséquences. C’est ce que l’on nomme, depuis l’analyse des limites du pouvoir étatique par le philosophe John Stuart Mill, dans son ouvrage de 1869 sur la liberté (Mill, 1990), le « principe des torts », suivant lequel la seule raison pour laquelle un pouvoir devrait être autorisé à agir sur un membre de la communauté politique et contre son gré est de prévenir le tort commis à l’égard d’autrui (Feinberg, 1984).
3Encore faut-il savoir ce que cette liberté signifie au juste. On peut d’abord la définir comme une liberté de choix. Plus les options de choix seront nombreuses ou intéressantes pour moi, plus ma liberté sera grande. Si ces choix sont limités contre la volonté de l’agent par une tierce personne, cette dernière fut-elle autorisée à le faire en raison du principe des torts, elle n’en limite pas moins la liberté de l’agent. Si je possède dix billes et que vous m’en enlevez neuf pour une raison arbitraire, vous avez restreint considérablement le nombre de jeux auxquels je peux jouer. Si la loi m’interdit de faire du bruit à l’intérieur d’un hôpital, on a aussi réduit le champ de ma liberté d’agir. On peut avoir de bonnes ou de mauvaises raisons d’établir des limites à la liberté, celles-ci n’en resteront pas moins des limites.
4La liberté peut se mesurer au nombre des choix, mais elle peut aussi et même a fortiori se mesurer à l’aune de la qualité des choix offerts à l’individu, cette qualité étant toujours définie par ses préférences personnelles. Si j’ai dix billes de couleurs différentes ainsi qu’un ballon et que j’adore le football alors que je méprise les jeux de billes, le nombre de billes en ma possession m’importe peu : même un très grand nombre pourra difficilement compenser la perte de mon ballon. Si vous avez le choix entre plusieurs jeux mais que seules vos études vous intéressent, un seul ouvrage scientifique aura à vos yeux plus de prix qu’une panoplie complète de divertissements sportifs.
5Une classification très utile pour mieux saisir les enjeux du concept de liberté politique a été donnée en 1958 par le philosophe sir Isaiah Berlin, qui proposait d’organiser la réflexion sur la signification politique du concept de liberté à partir de deux conceptions de cette même idée (Berlin, 1969). La première conception, la liberté négative, répond aux interrogations quant à la nature de la liberté du citoyen, de même qu’à ses limites. Dans quelle mesure un citoyen peut-il satisfaire ses désirs et faire lui-même ses choix sans que ceux-ci soient influencés ou empêchés par une instance supérieure à sa seule volonté ? La liberté négative ne suppose évidemment pas l’absence complète d’obstacles aux intérêts particuliers. Elle signifie simplement que tout aura été mis en œuvre afin que soit reconnue et respectée la liberté de chacun. La seconde conception, la liberté positive, opère un déplacement du problème de l’autorité. Il ne s’agit plus d’éviter une trop grande emprise du pouvoir, mais de faire en sorte qu’il appartienne à l’ensemble des citoyens. L’autorité du pouvoir n’est alors pas à craindre, puisqu’il est l’expression des volontés du corps social tout entier. Dès lors que les droits de chacun sont tributaires du pacte social, les fonctions et les actes de l’autorité politique – le pouvoir de l’État, les décrets des lois, etc. – relèvent entièrement des décisions de l’ensemble des citoyens.
6La principale critique adressée à la thèse de la liberté positive repose en réalité sur une reformulation de cette dernière. L’argument se présente grosso modo comme suit : si la liberté est positive, cela signifie qu’il existe un contenu spécifique à la liberté. Ce contenu spécifique est l’engagement de l’individu dans la vie politique et cette dernière ne peut être neutre non plus : elle est une défense collective du bien commun qu’est la liberté. Dans ce cas, la liberté de tous dépasse la liberté de chacun, tant et si bien que les parties, en l’occurrence les individus, n’existent que dans la seule optique du tout, soit de la communauté dont ils sont membres. Dès lors, ce qu’un individu juge comme étant une vie bonne doit subir l’épreuve d’un examen par le groupe, ce qui se produit notamment lorsque l’État impose des mesures paternalistes prétextant le bien-être de ses membres. C’est précisément ce que l’on reproche aux partisans de la liberté positive : penser une communauté dont la volonté générale l’emporterait sur celles de ses membres revient à donner un pouvoir politique au groupe et à laisser l’individu sans défense devant celui-ci. Des mesures politiques restrictives qui visent le bonheur du citoyen peuvent être extrêmement pernicieuses, car elles privent l’individu de la possibilité de choisir librement entre plusieurs options. Par exemple, on pourrait lui interdire de boire du vin sous prétexte que cela est mauvais pour sa santé et l’encourager à ne boire que de la bière, considérée comme la boisson nationale. Dans ce cas, l’État choisit à la place de l’individu ce qui est bon pour lui. Les libéraux s’opposent à une telle chose. Comme le disait Benjamin Constant au début du XIXe siècle : « Prions l’autorité de rester dans ses limites ; qu’elle se borne à être juste, nous nous chargerons d’être heureux » (Constant, 1819 ; 1986, p. 289). Si l’État doit interdire quelque chose, il doit le faire en raison d’un tort qui serait commis à autrui. Par exemple, fumer dans les lieux publics peut être vu comme un tort imposé à autrui, car on impose à quelqu’un une taxe indirecte sur sa santé sous prétexte de satisfaire notre propre désir de fumer.
7Berlin était franchement partisan de la liberté négative, qui seule lui apparaissait compatible avec notre monde moderne où domine un pluralisme des valeurs. Selon lui, si un tel pluralisme doit être préservé, alors il faut à tout prix éviter toute conception de la liberté qui prédéterminerait le contenu de cette même liberté. En ce sens, vouloir contraindre l’usage que fait autrui de sa liberté est contraire à la liberté et peut être vu comme contraire au principe des torts. La majorité des auteurs associés au libéralisme seraient d’accord avec une conception négative de la liberté pour ces raisons. Le problème est alors de savoir, dans le cadre d’une conception négative de la liberté, ce qui est susceptible de nier la liberté.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici